Manon Rancourt: un emploi nordique pour l’amour du peuple inuit

MODE DE VIE. Pendant que plusieurs pensent à la retraite pour voyager dans le Sud, la Magogoise Manon Rancourt profite de sa cinquantaine pour travailler dans le Grand Nord québécois. Elle y séjourne même depuis déjà trois ans, tout en côtoyant le peuple inuit qu’elle adore, et elle compte poursuivre cette unique aventure pendant quelques années supplémentaires.

Manon Rancourt a pris un congé nordique de l’hôpital magogois en 2020, en pleine crise sanitaire, pour un emploi similaire de gestionnaire dans le Nord-du-Québec. Elle a une cinquantaine de professionnels sous sa responsabilité à titre de directrice des services hospitaliers. Son lieu de travail et de son domicile est à Puvirnituq, un village nordique du Nunavik situé sur la côte Est de la baie d’Hudson. Les quelque 2100 habitants (3000 avec les Blancs) sont à 1 heure et 35 minutes de Kuujjuaq et à 2 heures 40 minutes de Montréal, en avion.

Elle n’est pas la première «blanche du Sud» à aller donner un coup de main dans un réseau de la santé souffrant de la pénurie de main-d’oeuvre. Elle conserve toutefois son emploi depuis déjà plus longtemps que la moyenne des autres travailleurs ayant vécu une expérience semblable. Elle représentera sûrement un modèle à suivre lorsqu’elle quittera d’ici quelques années, peut-être pour sa retraite à 60 ans, après un séjour d’environ six ans.

L’amour d’un peuple souriant explique sa motivation à faire de nombreux allers et retours entre Magog et son village adoptif. L’intérêt pour ce «peuple rieur», tel que le décrit l’anthropologue Serge Bouchard dans son livre du même nom, surpasse les conditions de vie difficiles sur les plans économiques et sociaux. Sans oublier les blizzards, les courts étés, les hivers précoces et longs, ainsi que les températures froides, dont un 53 degrés Celcius sous zéro comme record personnel.

«JE ME SENS CHEZ NOUS ET BEAUCOUP PLUS UTILE»

Elle ne regrette aucunement son choix. Même son conjoint Michel Boivin l’accompagne dans cette aventure, lui qui y a déjà déniché un emploi comment électricien par le passé. Depuis peu, M. Boivin est chargé de projet du parc immobilier du Centre de santé de Puvirnituq.

«Travailler au CIUSSS de l’Estrie – CHIUS était rendu tellement compliqué sur le plan administratif et je m’y retrouvais moins qu’avant, confie-t-elle. Au Nord, tout est plus simple et chaleureux, surtout les aspects humains. Je me sens chez nous et beaucoup plus utile.»

Manon Rancourt précise néanmoins la présence d’une grande contradiction chez ce peuple. «Ils sont très solidaires et généreux, mais il n’est pas rare qu’un homme violente sa famille, s’attriste-t-elle. La consommation d’alcool est également un fléau.»

« J’aime ça même si le milieu est parfois dur, ajoute-t-elle. Les gens sourient malgré leurs épreuves, mais ce n’est pas facile de voir une collègue rentrer au travail avec un visage tuméfié », raconte celle qui préfère miser sur les aspects positifs de la vie dans le Grand Nord.

UN VENT D’OPTIMISME CHEZ LES JEUNES

Elle constate avec joie un vent d’optimisme chez les jeunes, dont plusieurs voient de la lumière au bout du tunnel plutôt que de s’enfoncer dans les dépendances. «J’observe une belle relève grâce, notamment, à quelques actions de prévention de nos professionnels, se réjouit-elle. Ce ne sont pas tous les jeunes qui ont des problèmes de consommation de drogue. »

Elle adore son travail de gestionnaire, et ne se gêne pas pour replonger dans ses souliers d’infirmière lorsque les besoins se font sentir. Elle consacre beaucoup de temps au boulot, mais elle comble ses loisirs en discutant avec les villageois, en marchant, en tricotant et en taquinant les poissons dans la baie d’Hudson. La chasse y est également une coutume ancestrale, mais c’est davantage l’apanage de son conjoint. Ce dernier a d’ailleurs déjà eu la chance de pêcher et de chasser un caribou dans la même journée. «Tout s’arrête lorsque les caribous sont dans les parages», s’amuse-t-elle.

Ayant commencé avec des contrats chacun de leur côté, Manon Rancourt et Michel Boivin vivent maintenant une aventure professionnelle en couple. Ils séjournent au Nord pendant six semaines de travail avant de rentrer à Magog pour une autre période de six semaines. Du télétravail est parfois nécessaire pendant leur séjour au Sud.

Manon Rancourt invite jeunes et moins jeunes à s’engager, comme elle et son conjoint, dans le Nord-du-Québec, peu importe la durée du mandat. «C’est tout un dépaysement et c’est très formateur et enrichissant», termine-t-elle.