Chronique: Pourquoi un Mont Florence-Louise-Bradford à Orford?

En 1984, à l’occasion de la Journée internationale de la femme, la Commission de toponymie officialise le toponyme Mont Florence-Louise-Bradford pour une colline à l’ouest du lac Bowker. Qui est Florence Louise Bradford (1890-1977) ?

 

Florence Louise Bradford naît en novembre 1890, sur le Chemin Gendron, à Glen Iver dans le Canton d’Orford, aujourd’hui St-Élie d’Orford, un secteur de la ville de Sherbrooke. 

 

Benjamine des quatre filles de Harriet Emma Yates et William John Bradford, Florence Louise grandit bien entourée sur la ferme familiale. Sa mère, née en Angleterre, est la fille aînée d’une fratrie de dix. En 1877, la famille émigre au Canada et s’installe à Sherbrooke. Assez rapidement, Harriet Emma rencontre William John : ils se marient en août 1877. Le père de Florence Louise est originaire de Chambly; plusieurs membres de sa famille habitent aussi les environs. Cultivateur d’abord, il est aussi maréchal-ferrant, conseiller municipal, membre du conseil scolaire. 

 

La jeune Florence Louise bénéficie d’un réseau familial riche. Elle fréquente la  » petite  » école. Le Sherbrooke Examiner fait état, les 28 décembre1898, 26 juin et 28 décembre 1899 de l’excellent classement d’une  » Florence Bradford  » aux examens scolaires de fin d’année. Est-ce la même que celle qui fait l’objet de notre propos? C’est possible. Chose certaine, Florence Louise Bradford enfant reçoit une formation de base qui lui permet de poursuivre, avec succès, son éducation à l’âge adulte. Au fil des ans, Florence Louise devient une jeune femme dont le carnet mondain du Sherbrooke Daily Record, mentionne à l’occasion la présence à des événements festifs et ses déplacements en région, entre autres, les 11 juillet 1907, 25 septembre 1908 et 13 et 28 octobre 1909.

 

À 22 ans, enceinte et non mariée, Florence Louise s’exile à Montréal, chez une de ses sœurs aînées, pour y passer la fin de sa grossesse. Contrairement aux mœurs de l’époque, elle choisit de garder son fils et retourne vivre sur la ferme familiale, bravant l’opprobre social. On raconte qu’un soir une jeune fille  » en difficultés  » s’est présentée chez ses parents, y cherchant asile et réconfort; au fil des mois, d’autres font de même, une à la fois[1]. Un futur  » auparavant  » imprévu, commence à se dessiner devant Florence Louise. Elle choisit de s’y préparer.

 

En 1913, Florence Louise suit, avec succès, une formation d’infirmière obstétricienne par correspondance, payée par la famille. Diplôme en poche, elle et son fils s’installent, au début de la Grande Guerre, à Sherbrooke où elle se trouve du travail dans une usine d’armement. En dépit de son déménagement, des jeunes filles  » en difficultés  » la retrouvent et recherchent son aide. Ainsi, à partir de 1915 et jusqu’en 1949, Louise Florence Bradford tient une clinique privée de maternité pour mères célibataires : d’abord, très modestement, dans le petit logement familial de la rue Frontenac; puis à partir de 1932, dans une grande maison, de la rue High, dotée au 3e étage d’une salle d’accouchement et de cinq chambres pour accueillir jeunes filles et jeunes femmes. Rejetées, désespérées, affamées, violentées, exsangues, Florence Louise leur ouvre sa porte. Elle les loge et les nourrit moyennant un loyer modique, pour celles en mesure de payer. Elle leur prodigue des soins et assure un accouchement sécuritaire, sous surveillance médicale. Les nouvelles mamans doivent rester alitées au moins 10 jours, leurs nouveaux nés à leur côté; la semaine suivante, elles peuvent se lever et s’adonner à de menus travaux. Un temps pour se poser, choisir de garder son bébé ou de le placer en adoption. Une minorité le garde; Mme Bradford encourage alors les mères à suivre une formation ou les aide à se trouver du travail. La plupart donne l’enfant; Mme Bradford trouve des parents, aptes et intéressés et suit le développement de l’enfant dans son nouvel environnement. Elle officialise l’adoption, en toute confidentialité, dans le plus grand secret. Ce sont les diktats de l’époque. Au grand dam des adoptés qui tentent bien des années plus tard de retrouver leur mère biologique; Kate Shingler fait état de leur quête dans le Sherbrooke Record le 8 octobre 2002. Mentionnons aussi l’article de Janet Cotton du 28 octobre 1977 du Sherbrooke Record qui révèle la contribution méconnue de madame Bradford et le livre La mère des mères d’Aline Elie paru aux Éditions GID, en février dernier.

 

Florence Louise Bradford accueille ainsi plus d’un millier de femmes et permet à la mère et l’enfant d’éviter de tomber, comme autant l’ont fait, dans la pauvreté, le désespoir, la prostitution, le mort en couches ou pire. 

 

Florence Louise Bradford s’éteint le 22 novembre 1977 à l’Hôtel-Dieu de Sherbrooke. Depuis mars 1984, le Mont Florence-Louise-Bradford rappelle l’apport de cette orferoise d’origine à la communauté. Connaissons-nous des femmes dont le nom et la contribution à la société tardent à être reconnus par l’Histoire.  » Sans doute ! Prenons, en ce 8 mars 2024, l’engagement de témoigner de leur nom et de leur apport, au quotidien dans notre entourage, afin de hâter la reconnaissance publique de leur existence dans l’Histoire. 

 

Par Marie-José Rivest

Société d’histoire du Canton d’Orford

 

[1] La mère des mères, Élie Aline, Éditions GID 2024, pp. 27-28.