«Beer Garden»: La Ville devrait retirer sa modification du zonage

Je persiste à penser que le projet de Beer Garden n’a pas sa place à l’intersection des rues Principale Ouest et Merry Nord. Qu’un tel projet ajoute à la diversité de l’offre restauration-loisir-détente à Magog, soit. Mais il y a de nombreux aspects de ce projet qui clochent, et cela n’a rien à voir avec le bruit que pourrait craindre le voisinage.

1) Dans le plan d’urbanisme actuellement en vigueur, ce secteur est encore considéré comme patrimonial. La mairesse a beau dire depuis des mois que, dans le prochain plan d’urbanisme, la Ville souhaiterait que la zone patrimoniale du centre-ville ne commence que du côté Est de la rue Merry (côté du Café St-Michel), ce nouveau plan d’urbanisme n’a pas encore été adopté et c’est donc le plan de 2010 qui est en vigueur.

La mairesse dit aussi que le projet s’inscrit bien dans ce que les citoyens consultés sur le prochain plan d’urbanisme ont manifesté lors de la consultation de 2014. Toutefois, une lecture attentive du compte-rendu de cette consultation ne laisse apparaître clairement aucune indication du bien-fondé d’un projet de ce type à l’endroit prévu par les promoteurs. Et comme le nouveau plan d’urbanisme n’a pas encore été soumis à la population pour son adoption officielle, rien ne permet vraiment d’affirmer que les citoyens seraient d’accord avec le rétrécissement du secteur patrimonial.

Enfin, en laissant s’introduire un Beer Garden entre la maison Merry à l’autre intersection et la maison rouge qui surplombe le site, sur la rue Merry Nord, on introduirait une espèce d’anomalie architecturale qui affaiblirait la personnalité du secteur plutôt que de l’améliorer. Ce n’est pas parce qu’un projet de belle construction sur ce site a échoué dans le passé qu’il faut le sacrifier au projet actuel. La maison Merry, malgré toutes les nouvelles technologies, ne peut rendre compte à elle seule de l’histoire de cette partie de la ville. Laissons la maison Merry commencer à respirer dans un environnement qui lui ressemble encore.

2) Le projet de Beer Garden, sur le strict plan de l’équité fiscale, a quelque chose qui frise l’insulte pour les gens d’affaires qui ont pignon sur rue au centre-ville. Regardons quelques chiffres : la Chocolaterie Raphaël, voisine, paye 9241 $ de taxes pour son terrain (avec bâtisse) à peine plus grand que celui convoité par les promoteurs; le Liquor Store paye 17 354 $ de taxes pour un terrain (avec bâtisse) qui est à peu près le double de celui de la Chocolaterie; le terrain pour le Beer Garden ne paye que 2 486 $ de taxes. Sur ce terrain, il n’y a pas de bâtiment pour le moment.

Comme l’aménagement du Beer Garden sera plus temporaire et facilement déménageable, l’ensemble des immobilisations seront d’une valeur très inférieure à ce qu’elles seraient s’il s’agissait d’un édifice permanent. Pourtant, dans le cas des deux commerces cités, les taxes sur leur immeuble doivent être payées en tenant compte que leur bâtisse est permanente… et de valeur beaucoup plus élevée.

En réponse à une question, lors de la soirée de consultation, la mairesse a répondu qu’elle ne savait pas comment l’immeuble du Beer Garden serait évalué et taxé et qu’il appartiendrait aux évaluateurs de la Ville de s’occuper de cela.

D’un autre côté, madame Ouimet du Beer Garden affirmait deux choses dans une entrevue au Reflet du lac : d’un côté que « c’est un terrain très convoité, alors les coûts de location vont dans le même sens » et, d’autre part, que son partenaire et elle étaient «  encore en discussion concernant notre bail avec le propriétaire du terrain, Gilles Bélanger ».

Ces discussions sont de nature privée, mais on peut se demander si, dans les conditions normales auxquelles les gens d’affaires du centre-ville sont soumis, un tel projet ailleurs que là pourrait être rentable – surtout avec une activité d’environ 6-7 mois par année seulement. Car il faut savoir que le terrain en question, évalué à 179 800 $ au rôle de la Ville, a été acheté par M. Bélanger au prix de 575 000 $. Il est assez clair que, à un prix d’achat aussi élevé, un promoteur ne pourrait pas rentabiliser un commerce comme le Beer Garden selon le modèle d’affaires présenté. Il ne le pourrait pas davantage si, plutôt que d’avoir été acheté, son terrain était en location à des conditions normales de marché.

La déduction qu’on peut faire est que M. Bélanger pourrait consentir un loyer permettant aux promoteurs de rentabiliser leur projet parce que, pour lui, mieux vaudrait récolter un loyer anormalement bas que rien du tout, après un investissement de 575 000 $, en attendant d’être prêt à construire un édifice permanent plus volumineux .

Autrement dit, ce projet de Beer Garden a toutes les apparences de se réaliser à des conditions très différentes que les conditions usuelles pour tous les commerçants du centre-ville – avec, en plus, un projet présenté comme temporaire.

Pour toutes ces raisons, la Ville devrait retirer son projet d’amendement de zonage et plutôt chercher avec M. Bélanger une façon de rendre son terrain plus attirant en attendant qu’y soit construit un éventuel édifice. Quant aux promoteurs du Beer Garden, ils devraient continuer de chercher un endroit pour leur projet, qui a du bon, en jouant selon les mêmes règles « normales » du marché.

Daniel Faucher

Ex-Magogois toujours intéressé par sa belle ville d’origine