Amis des bébés ou hors du sein point de salut?

Dans l’édition du Reflet du Lac du 3 décembre dernier, la direction du CSSSM et autres partenaires posent fièrement avec leur document d’accréditation «Amis des bébés». Pour obtenir cette appellation contrôlée par des critères mondiaux, un établissement ne doit accepter aucun substitut du lait maternel, aucun biberon ou tétine, et doit mettre en oeuvre dix conditions précises, élaborées par l’UNICEF et l’OMS en 1991, en vue d’encourager un allaitement efficace. Ainsi donc, après plus de cinq ans de travail et on ne sait trop combien de fonds publics, le CSSSM a enfin son badge d’adepte de la croisade mondiale de l’allaitement.

Je comprends mal qu’un établissement public puisse être aussi fier de cautionner et promouvoir une politique faisant fi de la liberté individuelle et visant à dicter et à imposer l’allaitement au sein à toutes les mères. Quand on sait que pour garder son accréditation «Amis des bébés», l’établissement doit atteindre un taux de réussite de l’allaitement de 80%, soit 4 femmes sur 5 qui allaitent, on peut se questionner sur une «promotion de l’allaitement de façon naturelle et volontaire» tel que mentionnée dans l’article…, plutôt du tordage de bras et de la culpabilisation savamment distillée envers celles qui ne voudraient pas donner le meilleur à leur enfant.

Si vous êtes de celles qui se sont fait demander à peine enceinte «penses-tu allaiter?»; de celles qui se sont fait écraser et triturer les seins par plus d’une spécialiste en allaitement pour favoriser une montée de lait qu’elles n’avaient pas ; de celles qui, après avoir bien fait la démonstration souvent en pleurs et épuisées qu’elles n’avaient pas ou pas assez de lait, ont fini par avoir droit à une formule de lait maternisé pour leur bébé affamé… et se sont retrouvées devant l’aberration de devoir le nourrir au petit cup pour ne pas que le bébé prenne goût au biberon et à la tétine (ennemis publics numéro 1 de la Ligue de la Léché depuis les années 1950 et maintenant aussi des Amis des bébés); de celles à qui on a proposé la frénotomie non pas pour des raisons médicales, mais au nom de la tétée aux seins; de celles qui se sont senties jugées, senties coupables et de mauvaises mères face à ces questions–reproches comme «pourquoi tu ne veux pas allaiter?» «pourquoi tu ne veux plus allaiter ?»… vous avez sans doute saisi, sans même avoir besoin de la lire, que sous les mots très accrocheurs d’« Amis des bébés», cette politique discriminatoire et sectaire cache en fait l’objectif de dicter et d’imposer l’allaitement maternel à toutes les femmes, et démontre une grande intolérance face aux autres choix d’alimentation des enfants en les dépréciant et en ne les abordant même pas.

Aussi, en ces tristes temps de réjouissance de l’accréditation Amis des bébés du CSSSM, je veux dire toute mon admiration pour les mères, et les pères aussi, qui ont su, savent et sauront se tenir debout face aux pressions institutionnalisées et respecteront leurs propres choix, car il en existe plus d’un (allaitement exclusif au sein; allaitement au sein et biberon de lait maternel; biberon de lait maternel sans allaitement au sein; biberon de formule de lait maternisé), en matière d’alimentation et de soins de leurs enfants. Au Québec, n’en déplaise aux Amis des bébés, les femmes ont encore la possibilité de faire des choix personnels, et la moindre des choses serait que dans notre société supposément démocratique, cette liberté de choix personnelle soit respectée. Car la question d’allaiter ou

pas, ne regarde ni l’UNICEF, ni un gouvernement, ni un établissement et ni des spécialistes de l’allaitement; ça regarde d’abord et avant tout la mère, les parents. Et peu importe leur choix, qu’ils n’ont à justifier à personne, tous les parents devraient recevoir des services publics d’informations, d’accompagnement et de support adaptés à leur nouvelle situation familiale, et ce, sans pression, sans jugement, sans discrimination et sans stigmatisation.

Si l’UNICEF, l’OMS, les gouvernements et les établissements se préoccupent vraiment de la santé des enfants dans le monde, il y aurait sûrement plus et mieux à faire pour améliorer la qualité de vie des familles, que d’investir temps, argent et ressources humaines dans de grands congrès mondiaux où s’élaborent des politiques aussi peu respectueuses de la liberté individuelle et de la liberté de choix. Sûrement mieux à faire que d’investir à grands frais dans des rencontres régulières se tenant dans les plus belles villes du monde, pour évaluer la progression de la croisade de l’allaitement et congratuler les bons disciples… dont le Canada.

Il me semble qu’être amis des bébés devrait sûrement être autre chose que de punir un nourrisson en le forçant à boire au verre à la naissance parce que sa mère n’a pas de lait ou que de le mutiler avec bonne conscience pour l’obliger à boire au sein si elle en a… être amis de tous les bébés devrait sûrement être autre chose que cette obsession de l’allaitement devenue religion autorisant à décréter qui sont les vraies bonnes mères à encenser et les mauvaises mères à convertir de gré ou de force… oui, sûrement bien autre chose que de cautionner en souriant une politique aussi peu respectueuse des besoins des enfants et de la liberté de choix de leurs mères, de leurs parents.

 

Danielle Beaulieu

Magog

 

* Pour en savoir plus :

– Le Code International de Commercialisation des Substituts du Lait Maternel, mai 1981 (que les « Amis des bébés » doivent respecter)

– Déclaration d’Innocenti sur la protection, la promotion et l’encouragement de l’allaitement maternel… 1er août 1990 et 22 novembre 2005

– UNICEF : L’Initiative Hôpitaux amis des bébés

– MSSSQ : Initiative des amis des bébés; politique de périnatalité 2008-2018

– « Couper la langue de bébé ? », article de Gabrielle Duchaine paru dans La Presse+ du 1er mai 2014 et repris par Louise Leduc « Mutiler pour allaiter » paru dans Le Soleil du 5 mai 2014;l’article de Gabrielle Duchaine a également paru dans La Tribune.

– « Le conflit : la femme et la mère » d’Elisabeth Badinter, Edition Flammarion, 2010…ne serait-ce que pour lire la partie « La bataille du lait » du chapitre 3.