110e anniversaire de l’Abbaye de Saint-Benoît-du-Lac (1re partie): À la recherche d’une nouvelle terre 

Au bout d’un chemin entre pâturages et forêt, un coteau glisse doucement vers le majestueux lac Memphrémagog. Un monastère s’y enracine, tant et si bien que sa silhouette, trait de plume sur profil d’une montagne, est devenue le symbole de la région et de la MRC. Jeune de 110 ans, cette présence nous parle, son histoire nous parle et nous appartient.

Vers 1880, la France de la révolution adopte des lois qui ordonnent la dissolution de certaines congrégations religieuses, dont celle des bénédictins de Solesmes, qui comprend plusieurs communautés, parmi lesquels l’abbaye de Saint-Wandrille. Le moine Dom Paul Vannier est alors dépêché au Canada pour y étudier la fondation d’un établissement. 

À la fin de l’été 1912, Dom Vannier visite la ferme Lachapelle du côté de ce qui s’appelle à l’époque la Pointe Gibraltar. Cette propriété de 180 hectares, dotée de bâtiments de ferme et d’une maison, suffisamment grande pour servir temporairement de monastère, soulève l’enthousiasme du religieux. L’acquisition est officialisée le 8 octobre 1912. 

L’abbaye prend le nom de Saint-Benoît-du-Lac. La vie monastique est inaugurée le 4 décembre suivant. La paroisse est fondée le 8 décembre et la première messe est célébrée pour l’occasion. Début modeste, la communauté ne compte qu’un prêtre et deux frères. Un premier postulant canadien rejoint le groupe quelques jours plus tard. En cette fin d’année, l’évêque de Sherbrooke, Mgr LaRocque, confiera  » qu’une des grandes joies de cette année avait été de recevoir dans son diocèse les Bénédictins de Solesmes « . 

Malgré l’enthousiasme, les difficultés ne tardent pas. La maison demande d’urgents travaux de réhabilitation ; l’exploitation génère peu de revenus ; l’abbaye de Saint-Wandrille, face à ses propres problèmes financiers, ne peut fournir de ressources à son rejeton canadien ; les moines, venus de France, doivent tout apprendre, des rigueurs du climat, des pratiques agricoles usuelles, du parler des gens jusqu’à la culture locale. 

Les conditions de vie et la lutte pour la survie rendent difficile l’observance des règles monastiques. Le travail occupe une place démesurée, limitant la prière et l’exercice religieux à la plus élémentaire expression. Un prêtre écrit :  » nous travaillons comme des mercenaires depuis 4 heures jusqu’à 9 et 10 heures du soir « . La situation se détériore à l’hiver 1914 avec le décès tragique de Dom Vannier.

Suivent des années d’une misère quasi inhumaine malgré des labeurs acharnés, d’inévitables remises en question, de crises internes, de projets de déménagements et même de retour en France. 

Toutefois, une foi féconde anime la jeune communauté et constitue le terreau dans lequel le grain de sénevé germe. Pendant les années 1920, le recrutement de religieux canadiens augmente. Il faut emprunter pour agrandir et offrir des cellules aux nouveaux postulants. La paroisse requiert une véritable église. La providence met sur le chemin des religieux l’église anglicane d’East Bolton (Austin). Avec l’acquisition de celle-ci, les moines peuvent enfin s’isoler de la communauté paroissiale et retrouver une vie monastique selon la règle de Saint-Benoît. En 1928, la communauté compte quinze membres, mais les difficultés financières s’aggravent, la vie monastique souffre. Un nouvel abbé arrive de France avec le mandat de remettre la jeune communauté dans le droit chemin. 

À suivre.