Ottawa pourrait participer à une contestation judiciaire contre la loi 96

MONTRÉAL — Ottawa n’exclut aucune option, dont la voie des tribunaux, pour défendre les droits des minorités qui seraient bafoués par la loi 96, a laissé entendre le ministre fédéral de la Justice, David Lametti. En parallèle, il a annoncé que le gouvernement Trudeau sera de la partie pour contester la loi québécoise sur la laïcité de l’État en Cour suprême. 

Le ministre libéral a réagi mercredi matin à l’adoption, la veille, de la réforme de la Charte de la langue française au Québec.

M. Lametti a dit ne pas exclure l’option de participer à une contestation judiciaire pour protéger les droits fondamentaux en vertu de la Constitution et de la Charte des droits et libertés, dépendamment de l’application de la loi. 

«On n’écarte pas des options, mais, évidemment, il faut travailler dans notre domaine de compétences. On a dit dès le début qu’on allait protéger les aspects qui tombent sous la compétence fédérale et on va le faire. (…) On va surveiller la mise en œuvre. Il y a des possibilités d’implémenter la loi, sans toucher les compétences fédérales», a-t-il soutenu en point de presse devant son bureau de circonscription, à Montréal. 

Mardi, le premier ministre fédéral Justin Trudeau a également affirmé ne pas fermer la porte à une intervention d’Ottawa dans une éventuelle contestation judiciaire de la réforme caquiste, mais sans préciser davantage ses intentions.

Clause dérogatoire, une source d’inquiétude

M. Lametti a dit partager certaines des craintes avancées par plusieurs Québécois quant à l’application de la loi 96, notamment en matière d’immigration, d’accès à la justice et à la santé, ainsi que son impact sur les nations autochtones. 

Mais l’utilisation «préventive» par Québec de la clause dérogatoire, aussi connue comme la clause nonobstant, dérange particulièrement le ministre Lametti. Selon lui, le recours à cette disposition pour protéger la loi de contestations judiciaires devrait être le «dernier mot» et non le «premier» dans le dialogue entre législateurs et tribunaux. 

«Quand c’est employé surtout d’une façon omnibus, ça coupe le débat politique et ça coupe aussi la révision juridique, comme l’a noté la Cour supérieure. Ce n’est pas souhaitable dans une démocratie d’empêcher les personnes de participer aux débats juridiques et politiques», a mentionné M. Lametti. 

«Nous y serons»

Ottawa surveillera d’ailleurs de près la suite du litige entourant la loi 21 sur la laïcité de l’État pour laquelle Québec a aussi invoqué la clause dérogatoire, a-t-il indiqué. 

Le ministre a laissé tomber au même moment que le gouvernement fédéral participera à la contestation judiciaire de cette loi devant le plus haut tribunal du pays, une fois que la Cour d’appel du Québec aura tranché dans ce dossier. 

«On va donner nos opinions là-dessus, parce que ça devient par définition un enjeu national une fois que cela arrive à la Cour suprême du Canada. (…) Nous y serons pour fournir des arguments», a confirmé M. Lametti, réitérant que la position du gouvernement était d’abord de laisser les Québécois s’exprimer devant les tribunaux. 

Des groupes contestent actuellement la loi 21 et tentent de la faire invalider. Elle a été adoptée en novembre 2019 et interdit le port de signes religieux chez certains fonctionnaires en position d’autorité comme les juges, les policiers et les enseignants. 

Les intentions du fédéral sont rapidement venues aux oreilles de François Legault qui a dénoncé une attitude venant s’opposer à «la volonté d’une majorité de Québécois».

 «C’est un manque de respect flagrant de Justin Trudeau» envers le Québec, s’est insurgé mercredi le premier ministre québécois. 

Le chef péquiste a commenté sur un ton moqueur la réaction de M. Legault. 

«Ça devient loufoque. C’est quoi le plan de François Legault une fois qu’il se dit déçu à chaque semaine? Continuer à se dire déçu?», a affirmé Paul St-Pierre Plamondon. 

La cause de la loi 21 devrait être entendue par la Cour d’appel du Québec dans les prochains mois. Peu importe la décision qui en découlera, plusieurs s’attendent à ce que le dossier soit porté en Cour suprême. 

Sans avancer sur les motifs qu’avancera le fédéral devant le plus haut tribunal, l’emploi de façon «préventive» de la clause dérogatoire est au cœur des inquiétudes, a mentionné M. Lametti. 

– Avec des informations de Jocelyne Richer

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Cet article a été produit avec le soutien financier des Bourses Meta et La Presse Canadienne pour les nouvelles.