Mois de sensibilisation à l’infertilité: ne devient pas toujours parent qui le veut

MONTRÉAL — Trois couples sur quatre qui auraient besoin d’aide pour avoir des enfants n’ont pas accès à des services de fertilité.

Cette donnée n’est pas anodine puisque, selon les données canadiennes, environ une personne sur six est infertile. L’Association des obstétriciens et gynécologues du Québec définit l’infertilité comme «l’incapacité de concevoir après 12 mois de relations sexuelles non protégées». L’âge et divers problèmes de santé peuvent expliquer cette difficulté à concevoir un enfant.

Carolynn Dubé, directrice générale de l’organisme Fertility Matters Canada, explique que plusieurs raisons limitent l’accès aux services de fertilité. «Déjà, géographiquement parlant, les services d’aide en fertilité ne sont pas accessibles à tous, note-t-elle. Les gens doivent parfois faire plusieurs heures de route pour aller à la rencontre d’un spécialiste, ce qui peut en décourager plusieurs dans leur projet de parentalité.»

À cela s’ajoutent d’importants délais d’attente, qui sont «interminables» aux yeux d’Anne-Marie Luca, fondatrice d’Info-Procréation, un organisme qui accompagne les personnes infertiles ou LGBTQ2+ dans leurs démarches de parentalité. 

«C’est possiblement le plus gros obstacle au Québec, surtout quand on sait que, quand on veut un enfant, on le veut hier», relate la jeune femme, qui a eu recours à la gestation par autrui pour porter son enfant après qu’un cancer a résulté en une hystérectomie.

Même une fois dans le système, il peut être compliqué d’obtenir des réponses, d’autant plus que les informations qui existent sur le sujet sont diffuses, ajoute-t-elle. «Déjà qu’on est stressé et anxieux dans le processus, c’est difficile ensuite de parler à quelqu’un», déplore-t-elle. 

C’est sans compter les frais encourus par des démarches en fertilité, ajoute Mme Dubé. «Un cycle de fertilisation in vitro (FIV) coûte entre 10 000 $ et 20 000 $ au Canada, et pour une majorité de personnes, il faut plus d’un cycle pour réussir à tomber enceinte», précise la résidante de Saint-Jean-sur-Richelieu, ayant elle-même conçu ses trois enfants de cette façon.

Au Québec, il existe un programme finançant un cycle de FIV via la Régie de l’assurance maladie. D’autres services sont aussi couverts, dont un maximum de six inséminations artificielles, la stimulation et la ponction ovariennes ou la congélation des gamètes, entre autres.

Or, ce programme s’adresse uniquement aux couples hétérosexuels dont la femme est capable de porter l’enfant, les couples lesbiens de même qu’aux femmes seules. Les couples formés de deux hommes en sont exclus.

Pour Sébastien Nadeau, cette discrimination devrait être palliée par l’encadrement de la gestation pour autrui, soit le recours à une mère porteuse. «Ce serait souhaitable qu’avec la [réforme du droit de la famille – adoptée le 31 mai dernier], on pense à intégrer les couples d’hommes dans les programmes de procréation médicalement assistée», souligne l’Estrien qui, avec son mari, tente de devenir parent depuis quelques années déjà.

«Les couples homme-homme qui veulent fonder une famille ont actuellement moins d’options que les couples hétérosexuels et les couples composés de deux femmes et ces options sont généralement plus coûteuses, déplore-t-il. Pour une gestation pour autrui au Canada, il faut souvent prévoir plus de 100 000 $ pour un seul enfant et les politiques en place ne protègent pas adéquatement les couples gais.»

Même les couples de même sexe ou comptant une personne trans et ayant accès au processus peuvent être victimes de discrimination, renchérit Mme Dubé.

«Dans les questionnaires médicaux, on fait référence au diagnostic d’infertilité et on demande si c’est l’homme ou la femme qui a des problèmes médicaux à cet effet: dans le cas de couples gais ou lesbiennes, ce n’est pas nécessairement un enjeu de santé, c’est qu’ils n’ont pas tout ce qu’il faut pour que la conception ait lieu de façon naturelle», nuance la directrice, qui milite avec plusieurs partenaires pour revoir les termes utilisés dans les formulaires fin de rendre ceux-ci plus inclusifs.

Un choix individuel

À ceux qui croient que la société ne devrait pas payer pour des traitements de fertilité ou que les personnes infertiles n’ont qu’à se tourner vers l’adoption pour combler leur désir de parentalité, Mme Luca rétorque qu’il s’agit d’une réplique facile.

«L’adoption, ce n’est pas plus rapide ni plus facile, indique la conseillère en gestation pour autrui. Et beaucoup de parents souhaitent avoir un enfant biologique: ils ont le droit de le vouloir.

«C’est viscéral comme besoin, ce n’est pas un caprice, poursuit-elle. Pour l’avoir vécu moi-même, je sais qu’être infertile, c’est tabou. Les gens qui ne le vivent pas ne peuvent pas comprendre à quel point c’est difficile et profondément douloureux. C’est une détresse qui est bien réelle.»

Mme Dubé abonde en ce sens. Elle rappelle que tout est une question de préférence personnelle et qu’on ne peut forcer quiconque à vivre sa parentalité. 

Un parallèle est dressé avec le contrôle resserré de la contraception et l’accès restreint à l’avortement dans certains États américains.

«Les droits reproductifs sont individuels, réitère Carolynn Dubé. Ils relèvent donc des personnes. Ainsi, chacun peut choisir si, quand, comment et avec qui il aura des enfants. Le droit des personnes de décider pour eux-mêmes est fondamental ici.»

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Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.