Mission des ministres canadiens Anand et Champagne à Washington cette semaine

WASHINGTON — Le Canada recycle une offensive qui a déjà fait ses preuves contre les poussées protectionnistes aux États-Unis: la notion de l’époque de la Seconde Guerre mondiale selon laquelle les deux alliés continentaux travaillent ensemble pour défendre la démocratie.

La ministre canadienne de la Défense nationale, Anita Anand, et son collègue de l’Innovation, François-Philippe Champagne, unissent leurs efforts cette semaine à Washington pour vendre l’idée que l’industrie naissante des minéraux critiques au Canada fait de cet allié un partenaire idéal pour renforcer une base industrielle de défense nord-américaine.

L’incident, la semaine dernière, du ballon chinois, qualifié par les autorités américaines de «ballon-espion», souligne l’importance pour les deux pays de travailler ensemble dans le domaine de la sécurité nationale, ont déclaré les deux ministres en entrevue avec La Presse Canadienne. 

Le général Glen VanHerck, commandant du NORAD, a reconnu lundi qu’il ne s’agissait pas du premier ballon de ce type à pénétrer dans l’espace aérien américain — il admettait aussi que les incursions précédentes n’avaient pas toutes été détectées.

«Cet incident démontre très certainement la nécessité d’investir dans notre défense continentale, et c’est exactement ce que nous faisons», a affirmé la ministre Anand. 

Elle citait l’effort en cours de 40 milliards $ pour mettre à niveau le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD). Les dirigeants militaires déplorent depuis longtemps que ce système conjoint de défense du territoire nord-américain soit terriblement désuet.

Il n’y a aucune preuve que des ballons chinois déjà repérés au-dessus des États-Unis sont entrés dans l’espace aérien canadien, a précisé la ministre de la Défense nationale.

Mme Anand, qui parle de la modernisation du NORAD depuis qu’elle est passée de l’Approvisionnement à la Défense en octobre 2021, a donné jusqu’ici peu de détails sur l’échéancier de ce vaste chantier, sauf pour dire que les travaux sur la mise à niveau des infrastructures et sur les systèmes de radars transhorizon sont déjà en cours.

Géopolitique trouble 

C’est dans le haut fourneau surchauffé de la Seconde Guerre mondiale que les liens industriels modernes entre le Canada et les États-Unis se sont forgés. Les deux voisins nord-américains se relevaient encore de la Grande Dépression et étaient soudainement appelés à développer un effort de guerre collectif.

De nos jours, le monde traverse une autre période trouble, à la suite de la pandémie de COVID-19, puis avec la poussée mondiale pour soutenir l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie, combinée à la soudaine ruée du monde occidental pour mettre fin à sa dépendance à l’égard de la Chine pour les semi-conducteurs, les minéraux critiques et les métaux des terres rares.

«Lorsque vous parlez à des PDG du monde entier, ils vous disent que la géopolitique représente près de la moitié des discussions qu’ils ont actuellement lors des réunions de leur conseil d’administration, car si vous faites le mauvais choix, ça pourrait avoir des conséquences dévastatrices», a expliqué le ministre Champagne.

«À une époque où les nations s’efforcent de renforcer la résilience de leurs chaînes d’approvisionnement, je pense que le Canada et les États-Unis se démarquent dans le monde avec la chaîne d’approvisionnement la plus intégrée.»

Les deux ministres ont accordé une entrevue mardi quelques heures seulement avant le deuxième discours sur l’état de l’Union du président Joe Biden. Un discours qui a non seulement illustré parfaitement, à nouveau, les lignes de fracture partisanes aux États-Unis, mais qui a aussi démontré qu’avec une élection présidentielle en 2024, le protectionnisme est bien vivant à la Maison-Blanche.

«La loi ‘Buy American’ a été adoptée en 1933. Mais pendant trop longtemps, les administrations précédentes — démocrates et républicaines — se sont battues pour la contourner. Plus maintenant», a déclaré le président Biden, sous des applaudissements enthousiastes.

Il a également promis de nouvelles règles pour les projets d’infrastructure fédéraux qui exigeraient que tous les matériaux de construction soient fabriqués aux États-Unis – pas seulement le fer et l’acier, mais aussi le cuivre, l’aluminium, le bois, le verre, les cloisons sèches et les câbles de fibre optique.

«Sous mon administration, les routes américaines, les ponts américains et les autoroutes américaines seront construits avec des produits américains», a lancé le président Biden mardi soir.

Le Canada, important fournisseur

Ce genre de rhétorique explique peut-être pourquoi Ottawa redouble d’efforts pour promouvoir la coopération militaire bilatérale, alors que le Canada est déjà reconnu comme un important fournisseur de l’approvisionnement en matière de défense des États-Unis.

«Le Canada possède déjà cet écosystème dynamique de fournisseurs (qui) produisent des pièces, des composants, des systèmes et des sous-systèmes fiables et de haute qualité», a soutenu la ministre Anand.

«Nous sommes à un moment dans l’environnement économique mondial où la demande de munitions, d’équipement et de fournitures militaires dépasse largement l’offre. Nous devons nous assurer que le Canada est bien placé pour garantir que nous pouvons maintenir ces chaînes d’approvisionnement stables.»

Les deux ministres canadiens devaient arriver à Washington mercredi soir pour des rencontres avec de grands fabricants américains comme Lockheed Martin, Boeing, Raytheon et General Dynamics. Ils s’entretiendront également avec d’importants élus au Capitole, pour leur rappeler à quel point le contenu canadien soutient déjà l’armée américaine.

Les deux ministres participeront aussi vendredi à une table ronde au Centre Wilson sur «la promotion de la sécurité nationale et de la prospérité économique en Amérique du Nord».

«Nous sommes à un moment où (…) l’industrie aérospatiale et l’industrie de la défense en particulier doivent regarder vers le nord, a déclaré M. Champagne. Nous allons là-bas pour dire: ‘Écoutez, voilà une belle occasion de faire équipe, de faire plus ensemble, d’innover davantage et de vendre plus ensemble.’»