L’Ukraine se bat pour «notre avenir à tous», dit Justin Trudeau en visite surprise

KYÏV, Ukraine — Le premier ministre Justin Trudeau a accusé Moscou d’adopter une «nouvelle approche coloniale» en Ukraine lors d’une visite surprise à Kyiv, samedi, où il a déclaré au parlement ukrainien que leur pays se bat pour «notre avenir à tous».

«Vous êtes la pointe de la lance qui détermine l’avenir du XXIe siècle», a affirmé M. Trudeau lors d’un discours de 25 minutes prononcé devant une session spéciale du parlement, la Verkhovna Rada.

Le Canada dépensera 500 millions $ supplémentaires pour aider l’armée ukrainienne à lutter contre l’invasion russe, en s’engageant à fournir davantage d’armes et à former des pilotes de chasse.

M. Trudeau a également souligné qu’il pense que la Russie est à l’origine de l’effondrement d’un barrage qui a considérablement aggravé la crise humanitaire dans le sud de l’Ukraine. 

Il a aussi annoncé aux députés que le Canada soutiendrait la candidature de leur pays à l’adhésion à l’alliance militaire de l’OTAN.

«Nous voulons la paix aux conditions ukrainiennes, a-t-il mentionné. La Russie doit retirer complètement et inconditionnellement toutes ses forces militaires en Ukraine.»

M. Trudeau a été ovationné à plusieurs reprises lors de son discours et a reçu une chaleureuse accolade de la part du président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Deux députés tenaient des drapeaux canadiens.

«Le Canada continuera à soutenir l’Ukraine quoiqu’il en coûte, aussi longtemps qu’il le faudra», avait assuré M. Trudeau lors d’une conférence de presse un peu plus tôt, aux côtés de M. Zelensky.

«Vous vous battez pour votre pays et pour des valeurs telles que la démocratie, la liberté, le respect et la dignité. Et en vous battant pour l’Ukraine, vous vous battez également pour notre avenir à tous», a dit M. Trudeau à M. Zelensky.

Cette visite, effectuée à l’invitation de l’Ukraine, est survenue alors que des signes laissent croire que la contre-offensive ukrainienne contre la Russie, attendue depuis longtemps pour le printemps, pourrait être en cours.

Elle a aussi eu lieu pendant que les feux de forêt continuent de ravager le Canada, la fumée affectant la qualité de l’air, et après la démission, vendredi, du rapporteur spécial que M. Trudeau avait chargé d’enquêter sur l’ingérence étrangère.

Formation et munitions

«Le Canada participera aux efforts multinationaux visant à former les pilotes de chasse et à maintenir le programme d’avions de chasse de l’Ukraine, en tirant parti de l’expertise canadienne dans ces domaines», a déclaré M. Trudeau lors de la conférence de presse, ajoutant que le Canada rejoindrait un groupe de pays qui aident à maintenir les chars en fonction, tout en fournissant des missiles et des munitions supplémentaires.

Il s’agit notamment de 288 missiles AIM-7 supplémentaires pour parer aux frappes aériennes russes, et d’une réaffectation des fonds existants pour 10 000 cartouches de munitions de 105 millimètres, a précisé M. Trudeau.

Sur Twitter après la visite du premier ministre canadien, M. Zelensky a remercié le Canada pour l’envoi de ces nouveaux dispositifs militaires. «Étape par étape, ensemble, nous renforçons la liberté dans le monde», a-t-il écrit.

M. Trudeau a également annoncé l’octroi de 10 millions $ supplémentaires pour soutenir les personnes confrontées à l’aggravation de la situation humanitaire dans le sud de l’Ukraine après l’effondrement d’un barrage hydroélectrique, plus tôt cette semaine, ainsi qu’une aide de 37,5 millions $ précédemment destinée au pays.

Le barrage hydroélectrique de Nova Kakhovka, sur le Dnipro, a inondé une grande partie de la ligne de front dans le sud de l’Ukraine, une zone qui subissait déjà des bombardements.

On ne sait toujours pas comment l’effondrement du barrage s’est produit. Kyiv a accusé la Russie d’avoir fait exploser le barrage et sa centrale hydroélectrique, que les forces russes contrôlaient. Moscou a cependant répliqué que c’était l’Ukraine qui était responsable de l’attaque sur le barrage.

Pressé par les journalistes, M. Trudeau a imputé à la Russie la responsabilité directe de l’effondrement du barrage, affirmant que les enquêtes révéleront la part de responsabilité de Moscou.

«Il ne fait aucun doute dans mon esprit que la Russie est responsable de l’effondrement de ce barrage. Quant aux mécanismes qu’elle a utilisés, je vais faire confiance aux experts qui continuent d’étudier la question», a-t-il déclaré.

«Mon voyage d’aujourd’hui n’avait pas pour but d’inspecter le barrage de Kakhovka, mais de démontrer mon soutien à l’Ukraine.»

Saisie d’un avion-cargo

M. Trudeau a également annoncé de nouvelles sanctions à l’encontre de 24 personnes et de 17 entités pour leur responsabilité présumée dans le vol d’objets culturels et la dégradation de sites patrimoniaux en Ukraine, dont cinq musées.

Il a également indiqué que le gouvernement fédéral tenterait de saisir un énorme avion-cargo Antonov 124 immatriculé en Russie, que le Canada a immobilisé après son atterrissage à l’aéroport international Pearson de Toronto en février 2022.

Le premier ministre a expliqué que le Canada essaierait de confisquer l’avion au profit de l’Ukraine, afin qu’il ne puisse pas être utilisé pour soutenir l’effort de guerre de la Russie. Ottawa dispose d’une législation qui lui permet de confisquer les biens des personnes sanctionnées par le Canada, mais il y a un mois, il n’avait encore déposé aucune demande en justice, bien qu’il ait promis en décembre dernier de saisir les biens de l’oligarque Roman Abramovitch.

Les deux dirigeants ont également publié une déclaration commune comportant une douzaine de points qui réitèrent largement les actions du Canada en faveur de l’Ukraine. La déclaration mentionne «la nécessité de renforcer les efforts visant à assurer la mise en œuvre des sanctions et à prévenir et contrer leur contournement dans et par des pays tiers».

Commémorations

La vice-première ministre Chrystia Freeland a accompagné M. Trudeau lors de son voyage, qui a débuté par le dépôt d’une couronne au mur commémoratif du monastère Saint-Michel-au-Dôme-d’Or. 

Mme Freeland a également déposé des fleurs au pied du mur, où figurent des photos d’Ukrainiens morts en défendant leur patrie depuis l’invasion initiale de la Russie en 2014. Tous deux ont rencontré des soldats ukrainiens présents pour l’événement.

Sur le chemin, le premier ministre s’est à un moment donné penché pour regarder à l’intérieur de l’un des cadres de chars russes brûlés et de véhicules militaires qui remplissent la place publique. Peu de temps avant l’arrivée de M. Trudeau et de Mme Freeland, il y avait une musique sombre et une garde d’honneur pour un cercueil transporté dans la cathédrale pour des funérailles.

M. Trudeau a aussi visité un centre de rééducation pour les vétérans de guerre, qui se concentre sur le rétablissement mental et physique. Il a été rejoint par Olena Zelenska, la première dame d’Ukraine. L’un des patients a offert un drapeau ukrainien au premier ministre alors qu’il quittait le centre.

Certains médias, dont La Presse Canadienne, ont été informés du voyage du premier ministre à l’avance, à condition qu’il ne soit pas rapporté avant d’avoir été rendu public, pour des raisons de sécurité.

C’est la deuxième fois que le premier ministre Trudeau effectue une visite inopinée dans ce pays en proie à l’instabilité depuis que la Russie a commencé son invasion massive, en février 2022.

Justin Trudeau s’est aussi rendu en Ukraine en mai 2022, où il a rouvert l’ambassade du Canada à Kyiv et rencontré le président Zelensky en personne pour la première fois depuis le début de la guerre.

M. Trudeau a rencontré M. Zelensky dans le bâtiment abritant son bureau, et le duo a ensuite participé à une réunion bilatérale élargie avec certains des principaux conseillers de M. Zelensky et de M. Trudeau, Mme Freeland et le ministre ukrainien du Commerce, ainsi qu’avec les ambassadeurs des deux pays.

M. Zelensky a remercié le Canada d’avoir accueilli des milliers d’Ukrainiens fuyant le conflit. «Nous avons besoin de plus d’amis comme le Canada», a-t-il déclaré.

Samedi soir, M. Trudeau devait initialement assister au souper annuel de la Tribune de la presse parlementaire au Musée canadien de l’histoire, à Gatineau. En raison de son voyage, il a plutôt fait parvenir une séquence vidéo enregistrée aux côtés de M. Zelensky dans laquelle les deux hommes ont remercié les médias de défendre la liberté et la démocratie.

«Batailles intenses» en cours

Cette visite a coïncidé avec l’intensification progressive des activités militaires de l’Ukraine. Moscou a affirmé que la contre-offensive ukrainienne était déjà en cours, tandis que les hauts gradés de l’armée ukrainienne ont confirmé samedi que des «batailles intenses» étaient en cours et que la Russie lançait des frappes aériennes et d’artillerie dans les régions de Kherson et de Zaporijia, dans le sud de l’Ukraine.

Vendredi, le président russe Vladimir Poutine a déclaré que Moscou déploierait certaines de ses armes nucléaires tactiques au Bélarus le mois prochain, une décision que l’opposition bélarusse a qualifiée de tentative de chantage à l’égard de l’Occident avant la réunion de l’alliance militaire de l’OTAN prévue en juillet.

Depuis l’année dernière, Ottawa a consacré plus de 8 milliards $ aux efforts liés à la guerre en Ukraine. Il a notamment lancé un programme d’immigration spécial pour permettre aux Ukrainiens de venir rapidement au Canada avec un permis de travail et d’étude temporaire, au lieu de passer par le système habituel d’octroi de l’asile.

Ces sommes comprennent un milliard de dollars de soutien militaire, dont le don de huit chars de combat Leopard 2 à l’Ukraine et la formation de ses médecins et soldats dans des pays tiers comme la Lettonie.

M. Trudeau a déclaré que la lutte en Ukraine visait à renforcer le modèle démocratique qui est attaqué dans d’autres pays également.

«Nous voyons de plus en plus d’économies émergentes comprendre que la nouvelle approche coloniale des autocraties comme la Russie et d’autres pays n’est pas la voie à suivre.»

— Avec des informations de l’Associated Press