La hausse des loyers force certains artistes montréalais à délaisser leur atelier

MONTRÉAL — Le paysage à l’extérieur de l’atelier de la peintre Frances Foster a bien changé en 32 ans: au fil du temps, les anciennes gares ferroviaires et usines délabrées ont fait place aux entreprises branchées, aux nouveaux résidents et aux voitures de luxe.

L’intérieur, cependant, n’a jamais semblé aussi vide.

À une certaine époque, Mme Foster partageait l’atelier situé dans un ancien bâtiment industriel avec une dizaine d’autres artistes. Mais aujourd’hui, elles ne sont plus que deux, après avoir survécu de justesse à une tentative d’expulsion qui a poussé tous les autres locataires à partir au cours des trois dernières années.

Les propriétaires ont abandonné leur procédure d’expulsion l’année dernière «parce qu’ils avaient atteint leur objectif d’expulser la majorité des artistes, dont certains vivaient dans le bâtiment depuis plus de 20 ans», explique-t-elle.

Montréal, nommée ville UNESCO de design en 2006, est reconnue depuis longtemps comme un paradis pour les artistes, grâce à sa scène culturelle dynamique et ses loyers qui défient toute concurrence.

Cependant, à mesure que les loyers augmentent et que les anciens quartiers industriels sont réaménagés, certains artistes n’ont d’autre choix que de partir de leur lieu de création.

Lorsque Mme Foster a emménagé dans le bâtiment, la zone aux alentours était à peu près abandonnée. «C’était un quartier plutôt effrayant», reconnaît-elle.

Mais vers 2021, le secteur s’est embourgeoisé, ce qui a conduit le propriétaire du bâtiment à décider de le réaménager et de pousser les artistes à partir. Mme Foster paie toujours moins de 1000 $ pour son loyer mensuel.

C’est un scénario trop courant, de l’avis de la directrice générale d’un groupe qui représente les artistes visuels de la province.

«Ce qu’on sait déjà, c’est que la situation des artistes est de plus en plus précaire», souligne la directrice générale du Regroupement des artistes en arts visuels du Québec (RAAV), Camille Cazin.

Récemment, le RAAV a lancé un sondage pour déterminer l’étendue de l’impact de la hausse des loyers et du coût de la vie sur les artistes. Dès le premier jour, 450 personnes ont répondu.

Comme Mme Foster, de nombreux artistes s’établissent dans les zones urbaines où le prix au pied carré d’espace est le moins cher. Toutefois, au fil du temps, la présence d’artistes dans des quartiers autrefois économiquement défavorisés, comme Saint-Henri ou le Mile End, a rendu ces quartiers plus prisés, entraînant une hausse des prix.

«C’est malheureusement le problème des ateliers d’artistes: les artistes sont attirés par les prix bas, mais les investisseurs immobiliers sont attirés par les artistes», illustre Mme Cazin.

Problème répandu

Plusieurs artistes ont avoué à La Presse Canadienne qu’ils avaient dû changer de studio à plusieurs reprises, ou encore qu’ils n’avaient rien trouvé d’abordable.

Il y a quelques années, André Laplante, qui est peintre et graphiste, a été contraint de partir d’un atelier qu’il louait avec d’autres artistes, puisque certains d’entre eux n’étaient plus en mesure de payer leur part du loyer. Selon lui, la précarité des artistes est amplifiée par ce qu’il appelle le phénomène du «double loyer».

«Il faut payer un loyer pour vivre quelque part, mais aussi payer un autre loyer pour avoir une pratique artistique qui ne rapporte souvent rien financièrement, ou très peu», mentionne-t-il lors d’un entretien téléphonique.

Aïda Vosoughi, qui est peintre et artiste visuelle, a dû quitter son ancien atelier après le non-renouvellement d’une subvention qui lui était accordée.

Mme Vosoughi, qui travaille maintenant dans un espace plus petit lié à l’Université du Québec à Montréal, affirme que la plupart des mesures d’aide financière ne sont accordées que sur une base annuelle, ce qui fait en sorte «qu’il y a toujours une inquiétude pour l’année suivante».

Les élus au fait du problème

La Ville de Montréal reconnaît l’existence de ce problème et s’efforce de garantir des espaces abordables aux artistes visuels, notamment grâce à un programme qui subventionne leur loyer.

L’an dernier, plus de 400 artistes ont utilisé ce programme, qui subventionne 13 $ par mètre carré pour les espaces créatifs et 3 $ par mètre carré pour l’entreposage, selon la responsable de la culture au comité exécutif, Ericka Alneus.

Le ministère de la Culture et la Ville de Montréal se sont également associés dans le cadre d’un programme de 30 millions $ destiné à rénover les bâtiments abritant des studios d’artistes, souvent détenus par des collectifs d’artistes ou des organisations à but non lucratif qui se sont regroupés pour les acheter.

L’un de ces projets est les Ateliers 3333, qui ont été créés par le célèbre peintre et romancier Marc Séguin après que d’autres artistes et lui eurent été expulsés du bâtiment où étaient leurs ateliers.

En réponse, M. Séguin s’est associé à une société immobilière et à une entreprise de développement social pour acheter un ancien bâtiment industriel dans le quartier Saint-Michel et le rénover grâce à une subvention de 5 millions $ provenant du fonds.

Aujourd’hui, c’est un espace de travail pour des dizaines d’artistes qui paient des loyers raisonnables, selon Stéphane Ricci, vice-président au développement de la Société de développement Angus, qui est l’un des partenaires du projet. Le bâtiment est géré à but non lucratif.

«Je pense que c’est un modèle très intéressant, parce qu’il permet aux artistes d’avoir une certaine stabilité», dit-il.

Or, il existe également des défis, notamment le besoin de capitaux, ainsi que la hausse des taux d’intérêt, des coûts de construction et des taxes.

Il considère néanmoins que le projet est une réussite. «Nous avons environ 130 ou 140 artistes qui sont installés là-bas et qui ne seront jamais expulsés par le propriétaire parce qu’il a trouvé quelqu’un prêt à payer plus», se réjouit-il.