Des enfants ukrainiens enlevés par des Russes se racontent à des députés canadiens

OTTAWA — Des enfants ukrainiens enlevés par la Russie lors de l’assaut contre leur pays ont partagé mardi avec des parlementaires canadiens le récit de leur captivité, dans l’espoir qu’ils aideront à en sauver d’autres.

L’esprit de Tetiana Bodak a été inondé de questions il y a un an lorsqu’elle a décroché le téléphone et appris que son fils avait été capturé chez eux, dans la région de Kherson, en Ukraine.

La guerre en Ukraine faisait déjà rage depuis des mois lorsque Vladyslav Rudenko, 16 ans, a appelé sa mère pour lui dire qu’il avait été emmené dans un territoire voisin occupé par la Russie et qu’il attendait dans un autobus qui l’emmènerait en Crimée.

«Comment ont-ils pu le faire à mon insu ? a déclaré Mme Bodak en ukrainien, par l’intermédiaire d’un interprète. Qui t’a emmené hors de la maison ?»

Elle pouvait encore communiquer avec son fils pendant que l’autobus le transportait vers la Crimée, une péninsule occupée par la Russie au sud de l’Ukraine. Cependant, une fois qu’il est arrivé, elle n’a pas eu de nouvelles de lui pendant deux mois.

La mère et le fils ont raconté l’histoire de sa captivité et de sa tentative désespérée de s’échapper, mardi, aux membres du sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes.

Vladyslav Rudenko et trois autres adolescents ont décrit sans détour avoir été séparés de leur famille et emmenés de force depuis l’Ukraine vers des camps en Russie ou dans des territoires occupés par la Russie. Ils ont témoigné par visioconférence depuis l’Ukraine et ont communiqué par l’intermédiaire d’interprètes.

Ils ont expliqué aux députés qu’ils n’étaient pas autorisés à parler ukrainien dans les camps. On leur a plutôt appris l’hymne national russe et on leur a fait pression pour qu’ils acceptent des passeports russes.

Plusieurs d’entre eux ont décrit les tentatives des autorités russes de les placer, eux et leurs pairs, dans des familles d’accueil russes.

Les enfants les plus jeunes dans les camps n’avaient que six ans, ont-ils affirmé.

M. Rudenko a dit qu’il avait volé le drapeau russe sur le mât du camp et qu’il avait été placé dans une «cellule disciplinaire» pendant une semaine.

«J’ai passé une semaine sans communications, sans téléphone, personne n’était autorisé à entrer et à me parler, a-t-il détaillé. J’avais des pensées suicidaires là-dedans.»

Ce n’est que lorsque sa mère a décrit son parcours pénible pour sauver son fils que M. Rudenko s’est effondré devant le comité, ôtant son casque d’écoute et mettant sa tête dans ses mains pour cacher ses larmes.

Elle a rapporté qu’elle s’était rendue jusqu’à la frontière biélorusse, qu’elle avait traversé la Russie jusqu’en Crimée et dans la ville occupée de Lazurne, subissant plusieurs heures d’interrogatoires en cours de route.

«Ils m’ont mis une cagoule sur la tête pour que je ne puisse pas voir où ils m’emmènent, a raconté Mme Bodak. Ils portaient tous des armes et je savais qu’ils pouvaient faire tout ce qu’ils voulaient, mais Dieu merci, ils m’ont emmené à mon fils.»

Les enfants qui ont témoigné mardi par visioconférence ont finalement été secourus avec l’aide de l’organisme «Save Ukraine», qui se consacre au rapatriement et à la réhabilitation des enfants ukrainiens enlevés.

Le bureau du député conservateur Garnett Genuis a travaillé avec «Save Ukraine» pour identifier les enfants qui ont témoigné, et la commission a accepté d’entendre leur témoignage.

Le président-directeur général de «Save Ukraine», Mykola Kuleba, n’a pas voulu expliquer au comité comment son organisation sauve les enfants en raison du grand risque personnel pris par les bénévoles. Il a déclaré qu’il était beaucoup plus difficile de sauver des enfants plus jeunes, qui ne peuvent pas retrouver leur propre famille via les réseaux sociaux.

Ceux qui restent en Russie sont arrachés à leur identité ukrainienne, a-t-il témoigné.

«Je vous appelle aujourd’hui à utiliser vos voix pour condamner le transfert forcé par la Russie d’enfants ukrainiens comme un génocide et à demander des comptes aux auteurs de ce crime dévastateur», a-t-il dit aux députés par visioconférence, depuis l’Ukraine.

On ne sait pas exactement combien d’enfants ont été emmenés en Russie ou dans les territoires qu’elle contrôle en Ukraine, mais l’organisme «Aide à l’enfance» affirme que les estimations ukrainiennes et russes varient entre 2000 et 20 000 jeunes.

«Même si nous ne pouvons pas dire avec certitude l’ampleur du problème ni combien d’enfants ont été touchés, nous savons que la situation devient de plus en plus complexe à mesure que le temps passe pour chaque enfant», a soutenu Kateryna Lytvynenko, responsable de la politique et du plaidoyer humanitaire au sein d’«Aide à l’enfance».

«Le Canada peut jouer un rôle important dans la recherche d’une solution.»

Le Canada peut notamment aider à réunir les enfants enlevés avec leurs familles en encourageant d’autres pays à faciliter la communication entre les responsables ukrainiens et russes, a-t-elle indiqué.

Le sous-comité publiera probablement une déclaration contenant des recommandations spécifiques sur la manière dont le Canada peut soutenir les efforts visant à récupérer les enfants et à poursuivre les responsables de leur enlèvement, a conclu M. Genuis.