Des écoles interdisent à leurs employés de parler aux journalistes

QUÉBEC — «Vrai ou faux? Un employé peut commenter ou répondre aux questions d’un journaliste relativement à une situation dont il a été témoin ?» La réponse: «Faux», affirme le Centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île, situé à Montréal.

Cette question se retrouve sur des sous-verres qui ont été distribués aux membres du personnel des écoles du centre de services. 

«Toute demande de commentaire ou d’entrevue d’un journaliste formulée aux employés et aux intervenants dans le cadre de leurs fonctions doit être dirigée vers la direction de leur établissement, service ou réseau qui se référera ensuite aux services des communications», peut-on lire sur la face des sous-verres. 

«Dans l’idée d’accompagner nos employés sur certaines questions éthiques, nous avons créé un jeu-questionnaire dont les mises en situation se basent sur de vraies décisions tranchées par des tribunaux, le Code civil du Québec ou notre Politique des communications», écrit la porte-parole du centre de services de la Pointe-de-l’Île, Valérie Biron, dans un courriel à La Presse Canadienne.  

«Nous croyons que c’est notre responsabilité de protéger nos employés en les tenant informés de leurs obligations», ajoute-t-elle. 

C’est la députée libérale Marwah Rizqy qui a soulevé cet enjeu des sous-verre lors d’une commission parlementaire jeudi. Elle rappelle l’importance des sources sur le terrain dans le réseau de l’éducation pour son travail de députée. 

«Moi, une des façons que je comprends ce qui se passe dans le réseau, c’est parce que les membres du personnel qui sont sur le terrain sont pas mal nos yeux et nos oreilles, et quand il y a quelque chose d’absurde qui arrive, ils veulent nous en parler», explique-t-elle en entrevue avec La Presse Canadienne. 

«On assiste à une dérive»

Le professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval, Louis-Philippe Lampron, critique vertement l’initiative du centre de service. 

«D’y aller avec une interdiction mur à mur, ça me semble très problématique du point de vue de la légitimité, car ça nuit à la capacité des personnes qui sont des acteurs du terrain d’informer la population», dit-il. 

«Depuis des années, on assiste à une dérive de l’obligation de loyauté dans le secteur public», ajoute le professeur. 

Selon la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), ce genre de message va à l’encontre de l’esprit de la «Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics».  

«Définitivement, parce que la loi vise justement à faciliter les lanceurs d’alerte, les gens qui veulent dénoncer des situations inacceptables», explique le président de la FPJQ, Michaël Nguyen. 

Ce n’est pas l’interprétation du Centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île. 

«Il est clair dans notre organisation que tout acte répréhensible doit être dénoncé via les mécanismes prévus dans la ‘‘Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics’’. Nous encourageons nos employés à le faire par le biais de messages transmis dans notre Info-employés», assure Valérie Biron. 

Des sous-verres et des affiches avec d’autres messages ont aussi été distribués. On y indique par exemple que «l’obligation de loyauté s’applique à tous les employés», ou encore qu’un employé doit faire preuve de jugement sur les réseaux sociaux. 

Le Centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île emploie plus de 8500 personnes et regroupe 41 écoles primaires, sept écoles secondaires, trois écoles spécialisées et huit centres d’éducation des adultes.