La Cour suprême des États-Unis se penche cette semaine sur la pilule abortive

WASHINGTON — La Cour suprême se penchera à nouveau sur la question délicate de l’avortement cette semaine lorsqu’elle entendra des arguments sur un médicament couramment utilisé pour mettre fin à une grossesse, un dossier avec de profondes implications pour des millions de femmes et qui pourrait avoir également un impact sur la course à la Maison-Blanche.

Deux ans après que la Cour suprême eut invalidé le célèbre arrêt Roe c. Wade et ouvert la voie à des interdictions ou de sévères restrictions de l’avortement, les opposants à l’avortement vont demander mardi au plus haut tribunal de confirmer une décision d’une cour d’appel fédérale conservatrice qui limite l’accès au médicament, la mifépristone. Celle-ci a été utilisée dans près des deux tiers de tous les avortements aux États-Unis l’année dernière.

La décision de renverser l’arrêt a eu des conséquences politiques immédiates, les démocrates faisant valoir que le tribunal avait supprimé un droit que les femmes détenaient depuis un demi-siècle et avait ainsi remporté des élections. Même des États à tendance conservatrice comme le Kansas et l’Ohio ont voté contre les restrictions à l’avortement. Si le tribunal devait maintenir les restrictions sur les avortements médicamenteux, cela pourrait bouleverser le paysage électoral dans les courses au Congrès et à la présidence.

En annulant les modifications apportées par la Food and Drug Administration (FDA) à l’utilisation de la mifépristone, la décision couperait l’accès au médicament par la poste et imposerait d’autres restrictions, même dans les États où l’avortement reste légal. Les restrictions réduiraient la période pendant laquelle la mifépristone peut être utilisée pendant la grossesse, à sept semaines contre dix actuellement.

La plupart des adultes aux États-Unis, 55 %, pensent que les pilules abortives sont très ou assez sécuritaires lorsqu’elles sont prises selon les directives d’un médecin, selon un sondage KFF de mai 2023. Et 65 % ont «beaucoup» ou «un peu» confiance dans le produit. La FDA doit garantir que les médicaments vendus aux États-Unis sont sécuritaires et efficaces.

Une décision devrait être prise fin juin. Mais quel que soit le résultat, la Cour suprême n’a pas entendu son dernier dossier lié à l’avortement. Des litiges sont en cours concernant les restrictions imposées par les États, et de nouvelles limites fédérales sont probables si l’ancien président Donald Trump, candidat présumé des républicains pour 2024, revient à la Maison-Blanche.

Le mois prochain, les juges entendront des arguments sur la question de savoir si une loi fédérale sur les traitements d’urgence dans les hôpitaux doit inclure les avortements, même dans les États qui les ont par ailleurs interdits.

Des médicaments largement utilisés

La mifépristone, fabriquée par les Danco Laboratories de New York, est l’un des deux médicaments, avec le misoprostol, utilisés dans les avortements médicamenteux. Leur nombre est en augmentation depuis des années et ils représentaient 63 % des plus d’un million d’avortements aux États-Unis l’année dernière, selon une estimation de l’Institut Guttmacher, qui soutient le droit à l’avortement. Plus de 5 millions de personnes ont utilisé la mifépristone depuis 2000.

La mifépristone est prise en premier pour dilater le col et bloquer l’hormone de progestérone, nécessaire au maintien d’une grossesse. Le misoprostol est pris 24 à 48 heures plus tard, provoquant la contraction de l’utérus et l’expulsion des tissus de grossesse.

Les prestataires de soins de santé ont déclaré que si la mifépristone n’était plus disponible ou était trop difficile à obtenir, ils utiliseraient uniquement le misoprostol, qui est un peu moins efficace pour mettre fin aux grossesses.

Soulignant l’importance de cette affaire, le nombre d’avortements médicamenteux est en augmentation pour plusieurs raisons. Prendre des pilules à la maison pour mettre fin à une grossesse est moins invasif que la chirurgie, plus pratique que de devoir se rendre dans une clinique d’avortement et plus privé, permettant aux femmes d’éviter les manifestants antiavortement qui défilent devant les cliniques.

Il devient de plus en plus facile d’obtenir les deux médicaments dans certains États maintenant que CVS et Walgreens ont annoncé des programmes pilotes pour distribuer les pilules dans leurs pharmacies.

Pour les femmes vivant dans des États où l’avortement est interdit ou restreint, la livraison par correspondance peut être leur seule option pratique, a expliqué Julie F. Kay, directrice générale de l’Abortion Coalition for Telemedicine.

Les médicaments sont envoyés par des prestataires établis dans des États dotés de lois destinées à les protéger de tout problème juridique lié au travail avec des personnes vivant dans des États qui n’autorisent pas les avortements médicamenteux. Les pilules coûtent 150 $ US et arrivent généralement dans un délai de trois à cinq jours, a déclaré Mme Kay.

L’année dernière, 85 000 femmes ont travaillé avec Aid Access, fournisseur d’avortements par correspondance, pour obtenir le médicament, a indiqué la docteure Rebecca Gomperts, fondatrice du groupe. Parmi elles, 50 000 vivent dans des États où l’avortement est restreint, a-t-elle précisé.

La santé des femmes «en péril»

Le dossier actuel suit de près la décision de la Cour suprême de juin 2022 qui a annulé le droit constitutionnel à l’avortement. Cette décision a conduit à l’interdiction de l’avortement à tous les stades de la grossesse dans 14 États, à quelques exceptions près, et une fois l’activité cardiaque détectée, soit environ six semaines, dans deux autres États.

Les opposants à l’avortement ont déposé leur plainte contre la mifépristone au mois de novembre suivant et ont initialement obtenu une victoire six mois plus tard grâce au juge de district américain Matthew Kacsmaryk, nommé par M. Trump au Texas, qui aurait révoqué entièrement l’approbation du médicament. La Cinquième Cour d’appel des États-Unis a laissé intacte l’approbation initiale de la mifépristone par la FDA. Mais cela annulerait les changements apportés par les régulateurs en 2016 et 2021 qui ont assoupli certaines conditions d’administration du médicament.

La Cour suprême a suspendu la décision modifiée de la cour d’appel, puis a accepté d’entendre l’affaire. Les juges Samuel Alito, l’auteur de la décision annulant Roe, et Clarence Thomas auraient toutefois autorisé l’entrée en vigueur de certaines restrictions pendant que l’affaire progressait.

Les médecins et les groupes qui voulaient initialement retirer la mifépristone du marché affirment maintenant, dans leur mémoire principal à la Cour suprême, que ces récents changements «mettent en péril la santé des femmes dans tout le pays» et n’ont pas suivi les procédures rigoureuses requises par la loi fédérale pour modifier les restrictions de sécurité sur les médicaments.

Les femmes enceintes qui souhaitent prendre de la mifépristone, par exemple, n’ont plus besoin de consulter un médecin avant d’obtenir une ordonnance, a déclaré Erin Hawley, l’avocate de l’Alliance Defending Freedom qui représente les opposants à l’avortement devant la Cour suprême.

«Nos clients demandent à la FDA de remettre en place les garanties qui existaient depuis près de 20 ans», a déclaré Mme Hawley à l’Associated Press. Elle est mariée au sénateur Josh Hawley, du Missouri. Les deux ont servi comme aides juridiques auprès du juge en chef John Roberts au début de leur carrière.

Mais l’administration a déclaré que l’élimination des visites chez le médecin et les autres changements étaient le produit de plus de 20 ans d’expérience dans la réglementation de la mifépristone, notamment l’évaluation des données de sécurité et des études portant sur des milliers de femmes. Son point de vue est partagé par plusieurs organisations médicales de premier plan, dont le Collège américain des obstétriciens et gynécologues.