Une fabrique d’allumettes à l’Outlet en 1837: une première au Canada

L’Outlet a été le site de plus d’une première au Canada. En 1825, la famille Merry vend sa fabrique de laine à Abial Abbott jr et deux associés américains, Joseph Atwood et J. Boardman, tous deux de Glover, au Vermont.

Ces trois associés transforment la carderie Merry en une fabrique de laine complètement mécanisée, une première au Bas-Canada. Le 30 juin 1884, c’est à Magog qu’est imprimée la première pièce d’indienne (calicot) au pays. Enfin, une autre première un peu moins connue : c’est à l’Outlet que furent fabriquées les premières allumettes au Canada.

En 1837, Ralph Merry V, petit-fils du fondateur de Magog, s’aventure dans la fabrication d’allumettes. L’accès à la maison Merry en 2001 nous a permis de prendre connaissance d’un livre de comptes (Ledger ou Day Book), permettant d’affirmer que 1837 est l’année de la construction de la première fabrique d’allumettes au Bas-Canada.

Le 22 janvier 1837, Ralph V, alors âgé de 27 ans, se rend à Boston en diligence, et revient quatre jours plus tard avec la recette pour la fabrication d’allumettes appelées «Lucifer». Cette recette a été acquise de Welch & Griffith de Boston, située au coin des rues Congress et Waters. Merry rapporte du phosphore et les scies requises pour la fabrication de ces allumettes. Quelques jours plus tard, il se rend à Montréal en diligence pour acheter du soufre, de la colle, de la craie et d’autre phosphore. La recette est la suivante : 1 once de colle, 1 once de phosphore, 4 onces de craie pulvérisée. Faire fondre la colle et mélanger avec le phosphore. Verser sur la craie pulvérisée et bien agiter.

Inventé en 1827 par John Walker, un pharmacien de Stockton, Angleterre, ce mélange est très explosif et les allumettes peuvent s’enflammer facilement à la chaleur et à l’humidité. Il n’est donc pas surprenant que la petite usine construite en 1837 a été détruite par un incendie en 1855. De plus, les vapeurs dégagées au moment de l’ignition sont très toxiques et peuvent causer une nécrose phosphorée qui détruit l’os de la mâchoire (phossy jaw). C’est pourquoi une loi est adoptée au Canada en 1912, interdisant la fabrication de ce type d’allumettes.

 

Selon les dates d’achat de matériaux, la construction a lieu au début de l’année 1837, et la production débute dès le mois d’avril. L’historien Jean-Pierre Kesteman situe cette fabrique sur la rive nord de la rivière, approximativement à la hauteur de l’hôtel Central, entre l’ancienne tannerie de Parsons et la carderie de Corruth. Il est impossible de dire combien d’employés y œuvrent, mais Merry semble privilégier l’embauche de membres de sa famille, dont ses sœurs Polly, Maria et Betsey, ainsi que des membres de la famille par alliance, dont des Chamberlin, Hoyt, Johnson, Oliver, et Rexford. Le livre de comptes révèle que les employées reçoivent 1 $ pour une semaine de travail.

Merry vend ses allumettes à des gens de l’Outlet, mais en quantité insuffisante pour rentabiliser son investissement. Il en vend à des commerçants de Sherbrooke et de Montréal, mais les moyens de transport étant peu développés, ce commerce n’a jamais connu un grand succès. Pour pallier cela, Merry utilise ses allumettes comme valeur d’échange (troc) dans ses affaires. Il en troque en échange de propriétés, dont celle d’un M. A. Burrows en 1841, qu’il paie avec des allumettes.

Bien que cette aventure n’a duré que quelque huit ans, le fait qu’il s’agit d’une première au Canada mérite qu’elle soit racontée. L’échec de cette aventure est certainement un des facteurs ayant motivé Merry à consacrer les 30 prochaines années de sa vie à la cause du chemin de fer qui, grâce à lui, arrive finalement à Magog le 29 décembre 1877.

 

Maurice Langlois