Les médecins pleurent aussi, les avocats aussi

Radio Canada a diffusé le 23 mars 2016 un documentaire intitulé «Les médecins pleurent aussi». Ce documentaire vient nous parler de la fragilité des médecins comme personne, comme humain. Ils apprennent à s’occuper des autres, mais n’apprennent pas à s’occuper d’eux-mêmes.

L’épuisement professionnel et le travail sous pression font partie du travail des professionnels tel que les médecins, les avocats. C’est encore tabou pour un médecin ou un avocat d’avouer qu’il est en dépression ou qu’il est atteint d’épuisement professionnel. C’est difficile de briser le silence.

Un médecin, un avocat n’ont pas le droit à l’erreur. Dans le public, le médecin et l’avocat sont souvent vus comme un super héros, qui sait tout que sa science n’a pas de secret pour lui. C’est l’image que le public en général a de ces professionnels. Ils doivent performer jusqu’à être infaillible.

Il faut, dès l’Université, humaniser la médecine, le droit. Je me souviens la journée où j’ai été assermenté comme avocat au début de 1974. Les gens me félicitaient; il me semblait qu’ils me regardaient différemment comme si j’étais devenu un personnage. Maître, m’appelait-il, comme si ma science n’avait pas de secret pour moi. Comme si là, je savais tout du droit.

Pourtant moi, je réalisais que je ne savais pas tout. Et là j’eus un flash. Je me suis dit, si moi comme avocat je réalise que je ne sais pas tout de ma science, le médecin lui aussi alors, ne sait pas tout. Tous les deux, nous sommes sujets à l’erreur, à la fatigue, à l’épuisement, à notre humeur. Nous demeurons des humains.

J’avais une confiance aveugle au médecin et cette journée-là de mon assermentation, je réalisais que mon médecin, lui aussi ne connaissait pas tout.

Cette prise de conscience m’a aidé dans ma pratique du droit. Entre nous, j’ai connu des avocats qui se prenaient pour des surhommes, qui se prenaient pour d’autres.

Une parenthèse, la société des années 1960-70 avaient mis les médecins, les avocats et les curés sur un piédestal. On appelait la femme du médecin: madame docteur, la femme de l’avocat, madame l’avocat.

Un médecin ou un avocat qui vit une dépression, par exemple, a l’impression de laisser tomber sa famille, ses patients et clients. Il n’a pas le droit d’être malade, d’être épuisé. Il n’a pas le droit d’être lui-même.

Pierre Gagné, éminent psychiatre de Sherbrooke, déclarait lors de cette émission télévisée sur les médecins, que le médecin est formé comme pouvant tout régler.

L’avocat comme le médecin n’est pas formé à demander de l’aide pour lui. Le médecin tente de se soigner lui-même, et l’avocat se terre, se cache sous sa carapace. Ils règlent les problèmes des autres, mais eux, ils se croient à l’abri de tout problème humain. Pour eux, c’est tabou d’avoir des faiblesses.

Pendant des années, la société a laissé croire aux médecins et aux avocats qu’ils étaient la crème de la crème. Vous êtes les meilleurs. Vous vous devez d’être à la hauteur, toujours pas le droit à l’erreur.

De 1974 à 1976, au début de ma pratique du droit, j’ai plaidé des causes au criminel et au civil.

Puis en 1976, je fus nommé Directeur des services judiciaires pour les Palais de justice de Sherbrooke, Granby, Cowansville, Lac-Mégantic, Magog et Asbestos, dont ma responsabilité principale était d’administrer le rouage administratif de la justice qui comprenait à cette époque environ 130 personnes, tels que greffiers, sténographes et autres.

Également, nous devions préparer les rôles des cours, ce qui nous amenait à travailler avec les juges. Je me suis alors lié d’amitié avec certains d’entre eux. Il faut savoir aussi que tous les juges étaient des avocats avant leur nomination, des avocats avec qui nous avions pratiqué ou côtoyé d’une façon ou d’une autre.

Comme directeur des Services judiciaires ne pratiquant plus le droit, je jouais au golf avec les juges et il m’est arrivé de voyager avec certains d’entre eux.

À mon retour en pratique du droit en 1981, j’ai donc recommencé à pratiquer le droit ce qui m’appelait à plaider devant les juges.

Puis un jour, je ne me sentis plus capable de continuer de plaider. J’avais perdu la foi en la justice avec un grand J. Je me sentais inconfortable et ma santé en était affectée. Je devais prendre une décision même si elle pouvait n’être pas comprise ou mal interprétée de mes confrères. Et je m’explique.

Je n’acceptais plus les règles du système de justice qui, pourtant, est l’un des meilleurs de système de justice au monde.

Je me suis toujours souvenu de ce que me disait mon maître de stage qui était un plaideur aguerri: « Laurent, n’oublie jamais ce que je Juge Evender Veilleux disait à l’effet que la justice n’existait pas. Les Juges étaient là seulement pour trancher un litige entre deux parties.»

Je comprenais alors qu’une partie au procès dirait qu’il y a avait une justice et que la partie perdante dirait qu’il n’y avait pas de justice. Les règles de justice sont des règles humaines écrites par des hommes et les jugements sont rendus par des hommes qui sont des humains, donc faillibles aussi.

Un jour, un jeune avocat de mon bureau plaida une cause devant un juge avec qui je jouais au golf lors de mon passage comme directeur du Palais de justice et il perdit la cause laquelle était, selon moi, une très bonne cause en droit.

Je n’acceptai pas ce verdict et je me dirigeai directement au bureau dudit juge au Palais de justice.

À suivre….

 

Me Laurent Pelletier, avocat à la retraite

laurent@laupel.com