La justice existe-t-elle?

Monsieur l’avocat, vous m’avez dit que j’avais une bonne cause et on vient de la perdre. Je ne comprends pas.

Un chirurgien dont son patient décède lors d’une opération n’a pas à lui répondre à cette question, mais l’avocat a en face de lui son client déçu. Même s’il perd sa cause, le client devra payer quand même son avocat. Le courtier immobilier, lui, s’il ne vend pas la maison pendant son mandat, il n’a pas droit à sa commission.

Lors de mes débuts de pratique en droit, l’avocat sénior du bureau m’avait dit ceci : «lors d’un procès, un juge d’une grande notoriété avait expliqué aux deux parties en cause qu’il n’était pas là pour rendre la justice, mais pour trancher un litige».

La Justice est une notion noble que les humains aspirent, mais qu’ils n’atteindront jamais de ce monde. Par la suite, j’ai toujours cru à l’adage qui dit que le pire règlement vaut le meilleur des procès.

Avant de devenir avocat, je croyais que les avocats avaient toutes les réponses en droit; on leur exposait un problème, ils ouvraient leur Code et oups!, ils nous donnaient la réponse.

Ce n’est pas tout à fait comme cela que ça se passe. J’ai naïvement cru que la Justice avec un grand J existait, mais pas longtemps je vous l’assure. Quasiment tout ce qui est écrit dans un code de droit est sujet à interprétation. Votre avocat voit telle réponse à votre problème, tandis que l’avocat de votre adversaire en voit une autre à l’avantage de son client. Puis, à la fin du procès, le juge interprètera et rendra jugement, suivant son interprétation de la preuve au dossier présentée par les deux parties.

Dix personnes entrent au Palais de justice et à la fin de la journée, il y a de fortes chances que cinq en sortiront disant qu’il y a une justice et cinq autres diront qu’il n’y a pas de justice. Un exemple simpliste me direz vous, peut-être, mais il nous permet de visualiser ce qu’est la justice de l’Homme.

Comme vous savez, les juges sont des avocats nommés au fédéral par le politique. Quant aux juges nommés par le provincial, quant à moi, c’est la même chose même si on a créé un filtre, à savoir un comité qui reçoit en entrevue les avocats intéressés à devenir juge. Le comité remet par la suite la liste des avocats qu’il a reçus en entrevue au ministre de la Justice, lequel en nomme juge. Un ministre, un juge, un avocat, ce sont tous des humains comme chacun de nous. Ils peuvent se tromper et cela j’en sais quelque chose.

Ceci étant dit, un jour, un jeune avocat faisant partie de mon bureau perdit une cause qui, pour moi, était une excellente cause en droit. Le juge qui avait rendu ce jugement était un ami; je me rendis au Palais de justice, j’entrai dans son bureau et je lui ai dit «clairement» ma façon de pensée allant jusqu’à lui dire son incompétence et…, je m’arrête ici.

Je sortis de son bureau et arrivé à mon bureau, je remarquai que je tremblais. Je n’acceptais plus les règles du jeu. La Justice avec un grand J n’existe pas sur cette terre; la justice est une créature des hommes qui ont créé des lois, des règles pour régir le bon fonctionnement d’une société d’humains. J’ai alors décidé de changer ma pratique du droit pour ne plus avoir à retourner plaider devant les tribunaux. Par la suite, j’ai pratiqué comme avocat surtout dans les dossiers d’insolvabilité et de faillite où j’avais rarement à plaider devant les tribunaux.

 

 

Me Laurent Pelletier

Avocat à la retraite

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