Une révolution en noir et blanc

Un climat d’anticipation entoure le lancement de la nouvelle saison de télévision. On ne saurait toutefois comparer cet engouement avec celui qui a caractérisé les débuts du petit écran au Québec, dans la première moitié des années 1950. Les principales chaînes de télévision sont déjà en opération depuis quelque temps aux États-Unis lorsque, après la présentation d’émissions expérimentales, les opérations régulières démarrent à CBFT (Radio-Canada) en septembre 1952. C’est alors que ce nouveau média prend son élan. En quelques années, il deviendra un véritable phénomène de société. On peine aujourd’hui à s’imaginer l’impact que la télévision a eu sur la vie des Québécois. Il n’y a que quelques milliers d’appareils en circulation lorsque la programmation bilingue de CBFT, qui ne couvre que quelques heures par jour, se met en branle. On se rassemble alors chez un voisin, des amis ou des membres de la famille pour suivre son «programme» préféré. Les moins frileux s’entassent même devant les vitrines des commerces où l’on met les petits écrans bien en vue aux heures d’écoute afin d’en stimuler la vente. Ce que l’on entend à la radio ne suffit plus : on veut maintenant voir ce qui se passe. La Soirée du hockey, le football des Alouettes et la lutte du Forum attisent l’intérêt des mordus de sport. Les téléromans, comme «La famille Plouffe» (novembre 1953) et «14, rue de Galais» (février 1954), ou les événements spéciaux, comme le couronnement de la reine Elizabeth II (juin 1953), constituent aussi des incitatifs à ouvrir son portefeuille. Résultat : en 1960, 88,8 % des foyers québécois ont un téléviseur. À partir d’août 1956, les Estriens ont même leur propre chaîne. Grâce à une antenne placée au sommet du mont Orford, CHLT présente des émissions en provenance de Montréal, mais aussi des productions locales et régionales. C’est le cas par exemple de «Soirée canadienne» qui, à partir de 1960, deviendra un incontournable des samedis soirs. Avec la télévision, une nouvelle industrie naît. Vendre les appareils et les réparer deviennent des spécialités. À Magog, ceux qui offraient déjà le service dans le domaine de la radio ajoutent cette corde à leur arc. C’est le cas par exemple de Rosaire Roy dont le commerce s’appellera désormais Roy Radio TV. L’arrivée de cette nouvelle technologie ne fait pas que des heureux. Tenir un rassemblement politique, syndical, voire même religieux, un soir où il y a «quelque chose de bon à la TV», devient au fil des ans un pari de plus en plus difficile. La fréquentation dans les cinémas, pourtant plus confortables et plus spacieux que jamais, connaît aussi une baisse. Enfin, que faut-il penser de cet intrus autour duquel, dans les salons québécois,  les «gens de parole» doivent devenir «gens de silence» afin que l’on ne rate rien de l’émission en cours? Une chose est sûre : la télévision ne laisse personne indifférent. Avec le recul, certains voient même son avènement, notamment la présence des émissions d’information, comme un des facteurs ayant contribué à l’ouverture des Québécois sur le monde et d’autres cultures, pavant la voie aux turbulentes années 1960. Une véritable révolution en noir et blanc…avant que la couleur n’arrive en 1966!   Serge Gaudreau