Sauver le lac Memphrémagog avant l’irréparable

ENVIRONNEMENT. Acteurs et gouvernements locaux manquent de ressources et de données pour affronter la prolifération des plantes aquatiques qui nuisent aux activités récréatives, à la santé humaine et aux écosystèmes. La Commission mixte internationale (CMI) a donc des recommandations à la demande du Canada et des États-Unis pour protéger l’état de santé du lac Memphrémagog.

Comparativement au cas du lac Champlain, la problématique est encore en amont au lac Memphrémagog, mais elle pourrait prendre de l’ampleur avec l’urbanisation et les changements climatiques. Les recommandations visent très peu le secteur agricole parce qu’il n’y a presque pas d’agriculture intensive du côté canadien de ce plan d’eau. La plus grande préoccupation réside dans les projets de développement initiés par les municipalités régionales et les promoteurs touristiques.

Selon les experts, il ne suffit pas de construire des chalets au bord du lac, mais encore faut-il que le coin soit fréquentable. Les fermetures récurrentes de plage du côté de l’est de la Baie-de-Magog ces dernières années en raison notamment des cyanobactéries ne sont pas bon signe. La plage du lac Stukely a aussi été plusieurs fois fermée au parc national du Mont-Orford en raison d’une contamination bactériologique non élucidée.

Manque de ressources et de données

La CMI a travaillé de concert avec les organismes de bassin versant dont la Memphrémagog Conservation Inc (MCI), les administrations locales ainsi que des scientifiques et des universitaires qui ont côtoyé la MRC de Memphrémagog. «On a bon espoir qu’ils ont la volonté de refaire leurs schémas d’aménagement du territoire en vue de protéger le lac en limitant par exemple l’érosion», a témoigné la biologiste Ariane Orjikh, directrice générale de la MCI.

Ces schémas n’ont pas été révisés depuis près de 20 ans selon la chercheure. La CMI recommande à Ottawa et à Washington d’accélérer le rythme de rétablissement et de protection en travaillant avec les gouvernements des provinces, des États et des collectivités locales et autochtones.

Le comité Québec-Vermont qui rassemble toutes les forces vives autour du lac des deux côtés de la frontière se contente des initiatives provinciales telles que la stratégie québécoise de l’eau récemment mise en place. «On espère que le Québec va arriver avec de bons budgets parce qu’il manque de ressources», explique Mme Orjikh qui insiste sur la nécessité de mettre sur pied un plan d’action.

L’élaboration et la mise en œuvre d’un plan d’action pourraient prendre sept ans selon la CMI. La chercheure soutient que contrairement à la baie Missisquoi, on peut encore sauver la forêt et les zones humides de la région. Le Canada et les États-Unis avaient saisi la CMI en 2017 en raison du niveau élevé des efflorescences d’algues nuisibles dans les lacs de la région. Celles-ci sont les conséquences de longues années d’apports en phosphore et en azote issus de l’érosion des terres et des engrais agricoles.

Attention à la qualité de l’eau

Le lac Memphrémagog est la source d’eau potable pour Sherbrooke et Magog. «Ce n’est pas dramatique, mais ce n’est pas optimal non plus», a signalé Ariane Orjik qui plaide la santé de plus de 175 000 habitants. Elle explique que du côté américain, l’objectif est d’atteindre 14μg/l (microgrammes par litre) de phosphore sur des concentrations qui sont actuellement à 17 μg/l. «Nous au Canada, malheureusement, nous n’avons pas d’objectif», regrette-t-elle tout en reconnaissant que les concentrations de phosphore sont plus faibles au Québec dépendamment du secteur du lac.

Cependant, il faudrait viser en deçà de 14μg/l dans la région si on avait un objectif parce que contrairement aux États-Unis, c’est une source d’eau potable. De plus, les baignades seront de plus en plus limitées à cause notamment de la trop grande quantité de cyanobactéries génèrent des toxines. Des campeurs du site Stukely (parc  national du Mont-Orford) avaient été invités l’année dernière à se rafraîchir au plan d’eau du lac Fraser un peu plus loin.

La CMI recommande aux gouvernements fédéraux de fournir des ressources pour soutenir les mécanismes de gouvernance existants. Cette Commission n’a pas évoqué le site d’enfouissement de déchets de Coventry qui génère des produits toxiques vers la rivière Black, le lac Memphrémagog et la nappe phréatique. C’est le seul dépotoir du Vermont et il accueille des déchets de plusieurs États américains. Son «jus de poubelle» a longtemps été rejeté dans la nature malgré les traitements de la station d’épuration de Newport à 40 kilomètres du lieu d’impact au Québec. Cette activité est à l’arrêt pour une période de quatre ans, mais selon plusieurs experts, elle devrait faire l’objet d’une étude appropriée.

L’une des recommandations de la CMI aux gouvernements fédéraux est de contribuer à une meilleure compréhension des apports et des sorties de nutriments dans chacun des deux bassins de la région en soutenant une plus grande harmonisation des efforts scientifiques. Le cabinet de la députée de Brome-Missisquoi, Lyne Bessette, affirme qu’il prendra le temps d’éplucher l’étude de la Commission pour se faire une meilleure idée et réagir en temps opportun.

La Commission mixte internationale s’est appuyée sur l’expertise de l’organisme de bassin versant de la baie Missisquoi (OBVBM), de la New England Interstate Water Pollution Control Commission (NEIWPCC) et du Lake Champlain Bassin Program (LCBP) et sur les recommandations du groupe consultatif Québec/Vermont. Elle a été créée en vertu du Traité des eaux limitrophes de 1909 pour aider les États-Unis et le Canada à prévenir et à résoudre les conflits sur l’utilisation des eaux limitrophes aux deux pays. Ses responsabilités comprennent la réalisation d’enquêtes et la production de rapports sur des questions préoccupantes lorsque les gouvernements des deux pays le demandent.