Quand le chaos d’Afghanistan secoue jusqu’à Coaticook

INTERNATIONAL. Le chaos qui règne actuellement en Afghanistan ébranle ce peuple pris en otage, le monde entier et même 10 000 kilomètres plus loin à Coaticook.

Retraité des Forces armées canadiennes, le Dr Marc Dauphin a dirigé pendant six mois un hôpital militaire de Kandahar, en Afghanistan, en 2009. Il a également soigné des blessés en provenance de ce même pays, en 2007, dans un hôpital situé en Allemagne. Il a vu les pires atrocités qu’une guerre puisse faire subir à l’homme.

Le départ des troupes américaines, l’arrivée des talibans, les évacuations effectuées en catastrophe et les premiers attentats mortels près de l’aéroport de Kaboul inquiètent cet homme de 61 ans qui habite Coaticook depuis 2013. Ce bourbier risque même de rouvrir de vieilles blessures, chez lui et chez plusieurs anciens militaires ayant servi en Afghanistan entre 2001 et 2014.

«Dès la prise de possession de la capitale par les talibans, ma première réaction a été de dire pourquoi j’ai fait tout ça pour rien!, confie-t-il. Mais je persiste à croire que la présence des Canadiens, des Américains et autres Occidentaux aura été bénéfique pendant au moins 20 ans. Ce sont deux décennies de tranquillité et de civilisation qu’on a offert à un peuple qui vit malheureusement comme au Moyen-Âge. On leur aura fait du bien et semé des graines d’espoir qui, j’espère, deviendront grandes un jour.»

Il s’inquiète particulièrement des femmes, des enfants et des civils qui «souffrent toujours trop et inutilement en temps de guerre». Il a aussi une bonne pensée pour ces femmes qui, après 20 ans de liberté et d’éducation, risquent de vivre sous le joug des talibans.

 

OPTIMISTE MALGRÉ TOUT

Marc Dauphin voit une petite lueur de lumière au bout du tunnel malgré la haute tension d’une situation qui évolue très rapidement. Selon lui, l’Alliance du Nord n’apprécie guère le pouvoir si facilement acquis par les talibans. Les hostilités entre différentes factions risquent fort de reprendre. M. Dauphin pense aussi que les talibans ont amenuisé leurs forces dans certaines régions, pour solidifier leur prise de Kaboul.

«C’est loin d’être terminé, lance-t-il. Les talibans pourraient être renversés même sans les forces étrangères. Le chemin sera toutefois parsemé d’embûches et de combats. Ce seront encore les civils qui en paieront le prix de leur vie sur une très longue période.»

Marc Dauphin ne se range pas du côté de ceux qui critiquent vivement la décision des Américains de se retirer de ce pays après 20 ans. «Les États-Unis devaient se retirer un jour, surtout après tous ces morts et les sommes investies. Mais ils auraient pu le faire différemment, s’attriste-t-il. Biden aurait dû écouter davantage ses unités de renseignements pour éviter ou réduire le présent chaos».

Il peste davantage contre les élites et les autorités en place en Afghanistan, formées par les forces étrangères, qui ont fui dès l’arrivée des talibans. «Je n’ai pas beaucoup de respect pour ces gens, surtout ceux qui étaient peut-être à la solde des seigneurs de la guerre.»

 

GEORGE W. BUSH EST LE RESPONSABLE

Il cite George W. Bush comme principal responsable de tout ce bourbier. Il rappelle que les États-Unis étaient déjà présents en Afghanistan au début des années 2000 lorsque ce président américain y a affaibli sa présence pour attaquer l’Irak de Saddam Husseim. «Il a commandé ce transfert pour assurer sa réélection après les attaques meurtrières des tours jumelles du World Trade Center», raconte-t-il.

Dr Dauphin a une bonne pensée pour ce peuple pris au piège et en otage depuis la tentative d’invasion de l’ex-URSS en 1979, ainsi que de la guerre de dix ans qui a suivi. «Prions pour ce peuple pendant ces événements historiques, suggère-t-il. Supportons nos gouvernements à repousser les talibans du pouvoir en ne reconnaissant pas politiquement leur conquête. Accueillons aussi les nombreux réfugiés aux quatre coins du globe.»

Ce Coaticookois d’adoption vit difficilement ce revirement de situation en Afghanistan, et il n’est pas seul. Il confirme que plusieurs frères d’armes voient leurs blessures se rouvrir. Leur choc post-traumatique se réactive ou s’aggrave, car certains ont l’impression de s’être investis pour rien, parfois au risque de leur vie et de leur santé. Plusieurs y ont perdu des amis.

162 Canadiens sont morts en Afghanistan, dont 158 militaires, qui y allaient à la demande des États-Unis pour combattre le terrorisme et défendre la démocratie.

Quelque 2400 Américains et 3500 militaires au total y sont décédés pendant à peu près la même période.

 

DES DOMMAGES AU CERVEAU

Marc Dauphin ne souffre pas d’un choc post-traumatique, mais il a vécu quotidiennement avec des symptômes semblables. Dans son cas, le surmenage et le stress générés pendant son séjour de six mois à la tête de l’hôpital militaire lui ont causé des dommages au cerveau. Fatigue, sommeil réduit, manque de concentration et motivation à la baisse ont fait partie de son quotidien.

Il assure aller beaucoup mieux aujourd’hui, ne souffrant que d’un manque de concentration. «Ma femme dit par contre que je suis à 50% de ce que j’étais auparavant», précise-t-il.

Il raconte dans le détail ses expériences militaires et médicales dans son livre intitulé «Médecins de guerre». Sous sa direction, l’équipe de l’hôpital militaire est parvenue à soigner des milliers de soldats blessés et d’autres victimes de la guerre. Une seconde édition enrichie sera peut-être disponible à temps pour les Fêtes.

Marc Dauphin a vécu une bonne partie de sa vie à Québec. Il a aussi œuvré à titre de médecin-urgentologue dans les hôpitaux sherbrookois pendant quelques années.

Marc Dauphin