Louise Gagné : femme d’action et éternelle militante

PORTRAIT. Que ce soit pour traverser de cruelles épreuves, dénoncer des injustices ou démontrer sa fierté d’être québécoise, Louise Gagné a toujours gardé la tête haute. Et c’est encore le cas aujourd’hui, à 78 ans, alors qu’elle continue de se démener pour des causes qui lui tiennent à cœur et qui rendent la société meilleure à ses yeux.

Décrire l’univers de Louise Gagné, c’est passer inévitablement par le Rwanda, Georges-Henri Lévesque, Paul Rose, l’immigration, le patrimoine, les manifestations et une vie familiale morcelée.

Mais pour comprendre toutes ces interactions, il faut avoir que, dès son jeune âge, Mme Gagné était en quête d’indépendance, mais aussi d’égalité et de découvertes.

Dès l’âge de 15 ans, elle quittait sa maison du chemin des Pères à Magog pour poursuivre ses études à Sherbrooke et vivre dans un modeste logement en compagnie de quelques collègues de classe. « C’était plutôt un local au-dessus d’un hangar, corrige-t-elle. Oui, j’étais très jeune, mais j’ai eu la chance d’avoir des parents qui me faisaient totalement confiance. »

Et de la confiance, les parents Gagné ont dû en faire preuve à nouveau deux ans plus tard, lorsque leur fille Louise, qui n’avait même pas encore atteint sa majorité, leur annonce qu’elle quitte le Québec afin de participer à la fondation d’une première université francophone au Rwanda.

Il faut dire que le projet est sérieux, puisqu’il est mené par le prêtre Georges-Henri Lévesque, aussi connu comme le père de la Révolution tranquille. « M. Lévesque était considéré comme le plus grand sociologue du Québec et j’avais suivi quelques ateliers avec lui. Il m’a offert de m’envoler vers l’Afrique avec son groupe. Mes parents ne savaient même pas où était situé le Rwanda, mais ils savaient qui était Georges-Henri Lévesque. Ça a facilité leur décision de me laisser partir », se remémore-t-elle.

« Ce fut une expérience extraordinaire, même si elle n’a duré qu’un an. Je donnais un coup de main pour nettoyer les classes, faire les horaires ou préparer les examens des professeurs, tout en découvrant la culture rwandaise. »

Une fière Québécoise

Ce séjour en sol africain aura été déterminant à plusieurs niveaux pour la jeune travailleuse de Magog. Non seulement en développant son ouverture pour le monde, mais aussi en lui permettant de comprendre davantage la politique.

« J’étais déjà politisée, mais j’ai découvert ce que voulait dire être colonisé. En observant comment la Belgique traitait le Rwanda, je me suis rendu compte de ce que vivait le Québec avec les autres provinces. En revenant au pays, je suis devenue une vraie et fière Québécoise », dit-elle avec conviction.

Armée de cette nouvelle fibre identitaire et de cette quête de justice, il ne faut donc pas s’étonner de retrouver Louise Gagné comme militante du « Oui » lors du référendum de 1980, ou encore de la voir manifester contre la guerre du Vietnam en 1969, lors d’un séjour en Californie.

« Je travaillais dans le bureau d’un grand chercheur de l’Université Stanford et on m’avait offert une bourse inconditionnelle pour étudier dans le domaine de mon choix. Mais quand j’ai appris que cette bourse était financée par la Défense nationale (américaine), je l’ai refusée. Je me voyais très mal accepter cette offre alors que, parallèlement, je descendais dans la rue aux côtés de Joan Baez et les autres pour dénoncer le conflit au Vietnam », plaide-t-elle.

À la défense d’un felquiste

Ramant régulièrement à contre-courant, Louise Gagné sera aussi l’une des premières à vouloir réhabiliter Paul Rose, l’un des acteurs-clés de la funeste Crise d’octobre.

Après avoir essuyé un 9e refus de libération conditionnelle, l’ex-felquiste se voit offrir une visite sous surveillance dans une école primaire… fréquentée par le fils de Mme Gagné. Bien sûr, cette activité hors du commun est orchestrée par l’ex-Magogoise. « Mon deuxième mari (un professeur universitaire) avait eu la chance d’enseigner à Paul Rose en prison, et il m’avait vanté ses qualités. Je me suis dit que cette rencontre serait assurément intéressante pour les enfants. C’était sa première sortie officielle et il y en a eu d’autres par la suite », se réjouit-elle.

« J’ai travaillé pour qu’il soit libéré et qu’il puisse refaire sa vie. Nous nous sommes côtoyés à plusieurs reprises et j’ai même des photos de son fils Félix quelques jours après sa naissance. »

Incidemment, lorsque Félix Rose a présenté le film biographique sur son père, en septembre 2020 au Cinéma Magog, c’est à Louise Gagné qu’il a confié l’animation de la soirée. « Cet homme était un grand leader et il ne méritait pas toutes les choses négatives qui ont été véhiculées à son sujet », plaide-t-elle.

30 ans à l’immigration

En raison de ses expériences de vie, Louise Gagné se voit offrir un nouveau poste d’agente aux réfugiés chez Immigration Québec, en 1979. Elle y oeuvrera pendant 30 ans.

« La période des années 1980 et 1990 était très favorable aux réfugiés. Par contre, chaque personne qui désirait avoir un tel statut devait absolument passer par mon bureau, où j’évaluais sa situation. Tout au long de ma carrière, j’ai analysé plus de 2000 dossiers. »

« Tout récemment, j’ai revu le deuxième réfugié chinois à m’avoir présenté une demande. L’homme était très vieux et ses souvenirs étaient confus, mais sa fille m’avait contactée, car elle voulait documenter le cheminement de son père. Je me souvenais très bien de lui et ça m’a émue de le retrouver », avoue-t-elle.

Un respect mutuel

Toujours soucieuse de faciliter la vie aux citoyens de l’étranger ou de faire connaître les autres cultures, Mme Gagné s’implique encore aujourd’hui dans de nombreux organismes, dont Actions interculturelles à Sherbrooke. Elle a même présidé pendant plusieurs années le festival de cinéma Vues d’Afrique, à Montréal.

Selon elle, chaque peuple mérite le respect, mais chacun se doit aussi de respecter sa patrie d’adoption. « Je serai à tout jamais présente pour protéger notre patrimoine et la langue française au Québec. Quand on veut faire valoir nos droits et conserver nos acquis, il suffit simplement d’être ferme et de le dire avec la tête haute », prévient cette militante, en effleurant la délicate question des accommodements raisonnables.

Avancer malgré la tragédie

Garder la tête haute et continuer d’avancer, c’est assurément ce qu’a fait Louise Gagné en 1977, lorsque son premier mari et son plus jeune enfant (âgé de 2 ans) sont décédés tragiquement dans un accident de la route. « J’étais dans la même voiture avec mon autre garçon (l’ex-député François Rebello) et nous sommes les seuls à avoir survécu », raconte celle qui s’est remariée quelques années plus tard et qui a eu un autre fils avec son deuxième époux.

Garder la tête haute, c’est sans doute aussi ce qui lui a permis de poursuivre des études supérieures, même si elle venait d’un milieu relativement modeste. « Quand j’ai fait mon brevet A à Sherbrooke, j’étais entourée de filles de médecins, d’hommes d’affaires, etc.,, alors que moi, j’étais une fille de cultivateur. Je me faisais regarder de haut, mais je n’ai jamais eu honte du travail de mon père », insiste-t-elle.

« Les différences entre les classes sociales étaient plus marquées à cette époque », poursuit celle qui a longtemps partagé sa vie entre Montréal et la région Magog-Orford.

Amoureuse de la culture

Passionnée par le patrimoine, Louise Gagné a récemment cofondé la Société d’histoire du Canton d’Orford et elle est encore aujourd’hui dirigeante de la Société d’histoire de Magog.

Grande amoureuse de la culture, elle travaille aussi bénévolement pour Orford Musique depuis quelques années. Cette implication lui apporte une double satisfaction, soit celle de faire œuvre utile et de pouvoir assister gratuitement aux concerts.

« Je vois entre 20 et 30 spectacles chaque été. On reçoit ici la crème des professeurs et des étudiants internationaux en musique et c’est un privilège de les côtoyer. Dans quelques années, ces jeunes musiciens vont jouer dans de grandes salles à 80 $ le billet », prévoit-elle.

Depuis peu, Mme Gagné est aussi impliquée dans le Comité culturel Saint-Patrice, un organisme qui vise à promouvoir l’église Saint-Patrice (à Magog) comme lieu de diffusion et qui soutient l’actuelle campagne de financement des travaux de rénovation.

« Je suis favorable à la conservation du patrimoine religieux, mais il ne faut pas que ça serve uniquement pour les messes. Une église comme Saint-Patrice peut accueillir 900 personnes et c’est un amphithéâtre magnifique pour plusieurs types de spectacles », assure-t-elle.

Jouant du piano à l’occasion et ancienne clarinettiste au sein de l’Harmonie Notre-Dame (dans les années 1950), Louise Gagné semble avoir transmis sa passion musicale à son plus jeune fils, qui fait aujourd’hui carrière comme musicien et compositeur. « Sauf que nos goûts sont passablement différents. Son domaine à lui, c’est plutôt le rap, alors que moi, j’ai une préférence pour le classique. »

« Il y a très peu de chances qu’on assiste à des concerts ensemble », conclut-elle en riant.