Éclipse solaire: quand Magog souhaitait se retrouver dans le noir

Les Magogois seront nombreux à avoir les yeux tournés vers le ciel le 8 avril 2024. La perspective d’assister à une éclipse solaire totale fait jaser depuis déjà un bout de temps. La dernière du genre a eu lieu en 1972, alors que la prochaine serait prévue pour 2106 ; soit dans 82 ans ! Cet événement rare attise la curiosité des scientifiques, mais aussi des non-initiés qui seront à même d’apprécier ce phénomène ne se produisant pas nécessairement dans des conditions d’observation idéales.

Ceux qui habitaient notre ville en 1932 en savent quelque chose. Anticipée depuis plusieurs mois, l’éclipse totale devant avoir lieu le 31 août est annoncée comme un « spectacle unique dans la vie d’un homme », écrit-on dans le quotidien régional La Tribune.

La communauté scientifique s’y intéresse vivement. Les calculs effectués par certains de ses membres tendent à démontrer que Magog pourrait bien être un des endroits les plus appropriés pour apprécier cette éclipse dont l’impact se fera sentir sur une bande d’environ 160 km. Celle-ci partira de la baie d’Hudson et traversera la province du nord-ouest au sud-est avant de se diriger vers les États de la -Nouvelle-Angleterre.

Des télescopes qui pèsent des tonnes

Bien avant le jour J, des équipes se déploient dans la ville avec les équipements les plus sophistiqués de l’époque, dont « des télescopes qui pèsent des tonnes ». On estime qu’une soixantaine de savants sont parmi nous à l’été 1932, cherchant le meilleur site d’observation possible. Le haut de la côte des Pins, près du cimetière, est considéré. L’emplacement le plus propice semble toutefois être le terrain de golf du club Hermitage, près du chemin menant à Georgeville. Sa voie d’accès sera alors fermée aux curieux. D’autres endroits, comme Island Pond au Vermont, sont aussi dans la mire des experts.

Parmi eux, on compte des sommités mondiales dans le domaine. On retrouve par exemple à Magog le professeur Frederick Jon Marian Stratton, un astrophysicien de Cambridge qui dirige la délégation britannique. Le futur président de la prestigieuse Royal Astronomical Society s’inquiète d’un possible obscurcissement du ciel lors des heures fatidiques, mais il demeure optimiste.

À ses côtés, il y a aussi des scientifiques de l’Université McGill, de même que le professeur Samuel Alfred Mitchell, le directeur de l’observatoire Leander McCormick de la Virginie. Ce dernier traque littéralement les éclipses, transportant ses équipements dans différents pays dans l’espoir d’en apprendre davantage sur ces phénomènes. Parfois, les résultats sont encourageants. D’autres fois, la présence de nuages insistants gâche l’expérience.

Une caméra utilisée par les scientifiques présents à Magog en 1932. (Photo gracieuseté – La Tribune, 2 septembre 1932, p. 1)  

Une dimension touristique

Le grand public attend aussi le 31 août avec impatience. À l’aide de verres fumés ou de pellicules photographiques, on espère saisir « la couronne du soleil, qui prendra la forme d’une auréole autour de l’anneau solaire et qui sera d’un effet saisissant ». À plusieurs endroits dans la province, l’éclipse prend même une dimension touristique. On constate une hausse des réservations d’hôtels dans les villes les plus susceptibles d’offrir une bonne vue. C’est le cas de Magog, mais aussi de Montréal ou de Sorel, où l’on attend 2000 visiteurs venus en train ou par bateau. À Sherbrooke, on prévoit une foule au terrain de l’Exposition, dans ce que l’on appelle aujourd’hui le plateau Sylvie-Daigle.

Tous sont sur le qui-vive le 31 juillet, même des chaînes radio, comme CKAC, qui décriront l’évolution de l’éclipse. À Magog et à Sherbrooke, il y a de nombreux spectateurs. Cependant, les craintes se matérialisent. À plusieurs endroits, dont à Magog, les nuages refusent de coopérer. Il y a bien une éclipse, et une éclipse totale d’environ 100 secondes en plein cœur de l’après-midi. Il fait noir, au point où à Sherbrooke, mais pas à Magog, on avait même demandé de laisser les lumières des rues allumées et d’éviter la circulation automobile. Les nombreux nuages privent néanmoins les témoins de goûter dans son entièreté le spectacle offert par la lune et le soleil.

Du moins, à Magog. Car à des endroits comme Gould, Bury, Scotstown, même à Louiseville, Acton Vale où, plus près de nous, à Ayer’s -Cliff ou sur le mont Orford, l’éclipse a été observée avec plus de précision.

Prévisible selon les journaux publiés dans les jours antérieurs à l’événement, cette déception est palpable. Mais la vie continue. Les scientifiques ont tôt fait d’emballer leurs instruments et de penser à la prochaine éclipse. Quant aux Magogois, ils continuent de vivre au rythme d’une autre sorte de noirceur, celle de la crise économique. Elle peut être vue à l’œil nu ! Et elle aura la vie longue, ne disparaissant une fois pour toutes qu’en 1939, avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.