Eastman et Chapais: douloureux souvenirs pour deux survivants
Le drame qui touche Lac-Mégantic depuis le 6 juillet a ravivé de douloureux souvenirs chez Alain Pouliot et Marc Lapointe. Les deux Magogois ont en effet eux-mêmes survécu à deux des pires tragédies de l’histoire du Québec.
Alain Pouliot, qu’on connaît davantage sous son pseudonyme de «Big Daddy», était à bord de l’autobus qui a plongé dans le lac d’Argent, à Eastman, le 4 août 1978.
À titre d’animateur, il accompagnait un groupe de personnes handicapées, originaires d’Asbestos, qui revenaient d’un spectacle au Théâtre La Marjolaine. «Je me suis souvenu de la chanson que je chantais aux passagers, tout juste avant que l’autobus ne manque de freins: «Il était un petit navire, qui n’avait jamais navigué». Quel triste hasard. Je n’en reviens pas encore», se remémore-t-il.
Cet accident, qui a longtemps été considéré comme le plus meurtrier des routes québécoises (avant celui des Éboulements en 1997), a fait 40 victimes. Seulement sept personnes ont survécu.
Même si l’événement atteindra le cap des 35 ans dans quelques jours, tout reste frais dans la mémoire d’Alain Pouliot. «Tous les jours, je pense à mes 40 qui sont là-haut et je remercie Dieu d’être encore en vie. Je n’ai jamais eu de problème à en parler, car le fait de m’extérioriser a été très thérapeutique pour moi», explique celui qui gagne sa vie comme chanteur au Québec et en Floride.
Reconnu pour sa nature joviale, «Big Daddy» avoue être profondément touché en pensant aux gens de Lac-Mégantic. «J’ai chanté à plusieurs reprises dans cette région et j’y ai quelques amis. La différence avec nous cependant, c’est qu’ils peuvent bénéficier d’un soutien que nous n’avions pas il y a 35 ans. Dans les heures qui ont suivi l’accident d’Eastman, c’était plutôt chaotique. Nous avons passé la nuit dans un hôtel en compagnie des médecins, du coroner, des enquêteurs, et tout le monde nous questionnait pour savoir ce qui c’était passé. C’était surréaliste».
L’horreur à Chapais
Marc Lapointe aura mis 20 ans avant de «faire la paix» avec les événements qui ont décimé sa communauté, le 1er janvier 1980 à Chapais.
Ce soir-là, un violent incendie a coûté la vie à 48 personnes qui étaient réunies au centre communautaire de l’endroit pour célébrer l’arrivée du Nouvel An. Le brasier a été allumé par un jeune fêtard qui s’amusait à enflammer des guirlandes fabriquées en sapin.
Alors âgé de 18 ans, M. Lapointe a eu la vie sauve parce qu’il était allé aux toilettes dans une pièce adjacente, tout juste avant le début de l’incendie. «Quand je suis revenu, le feu était déjà pris dans l’entrée et on ne pouvait qu’assister impuissant à la scène. Je connaissais personnellement 46 des 48 victimes, dont mes trois meilleurs amis. Ce soir-là, c’est l’âme de la ville qui est morte», confie celui qui est aujourd’hui Chef de Division aux sports, activités physiques et plein air à la Ville de Magog.
Bien que fortement médiatisée – avec les moyens de l’époque – , la tragédie n’a pas généré beaucoup de support envers la communauté de Chapais. «C’était une municipalité éloignée et on s’est débrouillé du mieux qu’on pouvait. Il n’y avait pas de cellule de crise comme on connaît actuellement à Mégantic. Au bout de cinq jours, nous avons tenu des funérailles pour toutes les victimes au centre municipal et les cercueils ont été enfouis dans une fosse commune. La sixième journée, tout le monde reprenait ses activités en tentant tant bien que mal de reprendre une vie normale», ajoute Marc Lapointe, avec une teinte d’incrédulité.
Affectés par un climat devenu trop difficile, M. Lapointe et ses parents ont quitté Chapais deux ans plus tard, en espérant repartir sur de nouvelles bases. «Les choses ont commencé à aller beaucoup mieux lorsque j’ai décidé de pardonner à l’auteur de l’incendie, après 20 ans. J’ai compris que ça ne donnait rien de nourrir de la haine à son égard, et que, malgré les conséquences tragiques, c’était avant tout un accident».
Adepte de l’activité physique, Marc Lapointe a participé à la course commémorative de 12 km il y a quelques semaines entre Nantes et le centre-ville de Mégantic, afin d’honorer la mémoire des disparus. «Malgré l’ampleur du drame, j’ai trouvé que l’énergie des gens était très bonne. Il y a eu des décès, mais j’avais l’impression qu’on célébrait plutôt la vie. Et comme plusieurs, j’ai été très impressionné par la mairesse (Colette Roy-Laroche). Cette femme est très solide», a-t-il constaté.
S’il y a un point sur lequel s’entendent Alain Pouliot et Marc Lapointe, c’est celui de l’omniprésence des médias. «C’est important de faire un suivi sur le déroulement des opérations, mais j’ai hâte qu’on laisse un peu d’intimité aux gens», lance «Big Daddy».
«A-t-on vraiment besoin de savoir quotidiennement que les gens ont de la peine et qu’ils souffrent? Ce que je souhaite c’est qu’il y aura encore du support pour eux dans six mois, un an, deux ans… Pour plusieurs, le deuil sera très long», croit M. Lapointe.