Agressé à 9 ans, un homme de 68 ans parle de ses démons qui le hantent toujours

TÉMOIGNAGE. Denis Lagueux a gardé un lourd secret pendant de longues années, un poids qui l’a presque conduit vers la mort. Lui-même est surpris de profiter un peu de la vie à 68 ans après avoir été victime d’une agression sexuelle alors qu’il était âgé de 9 ans.

Cet homme voulait témoigner depuis quelque temps pour se libérer d’un boulet qu’il traîne depuis des décennies. L’agression faite par un religieux l’a évidemment marqué, tout comme la violence physique de son père. «Cependant, le silence est notre pire ennemi. Il peut nous tuer», confie-t-il pour encourager les hommes victimes d’agression sexuelle à se livrer.

Denis se rappelle comme si c’était hier de l’événement qui chamboulera sa vie. Il jouait à uriner sur le mur de l’école quand lui et deux de ses amis se font prendre. «Mes deux chums ont eu des conséquences normales comme du nettoyage, mais moi, le professeur religieux de cette école primaire de Sherbrooke qui n’existe plus (Saint-Jean-Baptiste) m’a fait monter dans sa chambre. Il a baissé mes pantalons. Je me suis débattu, mais il s’est servi quand même», raconte-t-il avec de l’eau dans les yeux.

Honteux et effrayé de se plaindre pour éviter de se faire battre, il amorce un long silence qui se traduira par la consommation de cigarettes à 12 ans, d’alcool et de drogue toute sa vie. S’ajoutent des bagarres, de l’itinérance, du sexe à profusion et une tentative de suicide.

L’enseignant agresseur s’est essayé de nouveau, mais le jeune Denis lui a tenu tête. «Il m’abordait, mais je m’enfuyais à la course, se souvient-il. Je l’ai fait trébucher dans les escaliers et il a reçu un bâton de baseball dans le front. Évidemment, la direction ne me croyait pas quand je leur disais que ce n’était pas volontaire. Ils avaient raison, mais je devais me défendre. J’en ai mangé toute une.»

Une agression et un père violent

Bon élève, ses notes chutent. Il se roule des cigarettes malgré son bas âge. Il découvre sa sexualité de façon précoce avec une jeune fille de son âge. Il se fait surprendre par son père qui réplique avec une violente réprimande physique avec une corde à danser, à la manière d’un fouet. Les mots lui manquent à ce moment pendant l’entrevue. L’émotion prend le dessus. Il fond en larmes.

Cette agression physique semble l’avoir marqué, autant que l’agression sexuelle. Âgé de 14 ans, il n’en peut plus et quitte le foyer familial. Il s’embarque dans un train et débarque, sans trop le savoir, à Montréal. L’itinérance dans les rues de la Métropole l’attend avant de vouloir revenir à la maison. Il saute cependant dans un train en marche en direction de Vancouver.

Il passe son adolescence et le début de l’âge adulte dans l’Ouest canadien. Il vit dans la rue et travaille à Yellowknife. Trop jeune pour les mines, il travaille dans les cuisines pendant quelques années. Encore là, sexe, drogue et alcool sont au rendez-vous.

Il séjourne en Californie avant d’avoir le mal du pays. Il passe par Woodstock en 1969 pour célébrer les années hippies avec 500 000 autres personnes. Il profite peu de Janis Joplin, The Who et Jimi Hendrix en spectacle sur scène, car il fait la fête et rencontre plusieurs filles sous les tentes.

Aucune larme aux funérailles de son père

Un peu plus tard, il frappe à la porte de la maison familiale à Sherbrooke. Sa mère le serre dans ses bras, mais la réunion avec son père est plutôt froide. Après cette brève rencontre, il ne reverra son paternel qu’à ses funérailles. «Je n’ai versé aucune larme», avoue-t-il avec les yeux en feu.

Il a toutefois gardé contact avec sa mère dans une autre période difficile de sa vie. «Je travaillais, mais je buvais toujours sur la job. J’aurais pu me blesser ou tuer des gens en conduisant. J’ai tenté de mettre fin à mes jours», s’attriste-t-il.

Un jour, il passe devant un centre de sobriété, et y entre. Une dame constate son désarroi et l’écoute pendant des heures. Ce fut le début d’une longue aventure avec les Alcooliques anonymes. «Je suis toujours bénévole aujourd’hui pour aider des hommes ayant des problèmes de boisson. Je suis sobre depuis 38 ans. Je n’ai eu qu’une rechute, mais j’ai réussi à me relever», dit-il fièrement.

La vie, grâce à son fils handicapé

Selon lui, il doit la vie à son fils, aujourd’hui âgé de 32 ans. «Je l’ai élevé seul malgré son handicap intellectuel, car sa mère nous a abandonnés quand il avait 18 mois. La DPJ a voulu me l’enlever, mais j’ai plutôt demandé de me donner des outils pour m’aider. Ils ont accepté et je pense avoir réussi même si ce n’était pas toujours facile.»

Il a brisé le silence peu de temps avant la mort de sa mère. «Ça été dur pour elle, témoigne-t-il, mais ce fut une délivrance pour moi, une première étape pour remonter la pente.»

Il avait déjà consulté des médecins et des psychologues, mais on lui disait que ses problèmes étaient causés par sa consommation excessive d’alcool. Les spécialistes avaient partiellement raison, mais Denis refusait de briser la glace et cibler la cause de ses déboires, soit l’agression sexuelle dont il a été victime à 9 ans.

Il en parle finalement à un psychologue, qui le réfère à l’organisme Soutien aux hommes agressés sexuellement (Voir autre article). «Je vais mieux et je suis même heureux depuis 2-3 ans, mais je n’échangerais jamais mes pires journées des dernières années avec les meilleures de mon passé», résume-t-il.

Aujourd’hui domicilié à Deauville, Denis Lagueux tente de faire la paix avec son passé. Il souhaite aussi faire sa part pour aider d’autres hommes aux prises avec leurs démons. «Si tu veux, tu peux, prévient-il. Je témoigne pour dire que l’espoir existe et de l’aide est disponible pour atteindre une vie meilleure.»