Des Noëls communautaires pendant plus d’un siècle

Dans la région du lac Memphrémagog, les célébrations communautaires de Noël et des Fêtes débutent vers 1850 lorsque les conditions de vie s’améliorent, que des écoles et églises sont construites, et que des hameaux se consolident. Les chroniques locales des journaux racontent que chaque agglomération organise une grande fête, appelée le plus souvent «Christmas tree», importée par les colons américains. Le «Christmas tree» est souvent lié à l’École du dimanche méthodiste («Sunday School»), mais la célébration est davantage communautaire que religieuse. Tous y sont conviés, peu importe la religion, y compris les quelques Canadiens-français catholiques. La fête est aussi égalitaire : les notables y ont une place tout autant que les personnes âgées ou handicapées. Elle est présidée par un maître de cérémonie et comprend des activités locales, préparées depuis longtemps : récitations, poèmes, saynètes, chants et cantiques, distribution de cadeaux, discours, et l’hymne national. Tous les talents y contribuent : écoliers, musiciens amateurs (piano, violon, guitare, harmonica, etc.). Dès 1870, Santa Claus vient assez souvent distribuer les cadeaux (généralement une orange et des bonbons), mais il n’est pas la figure centrale. Enfin, la nourriture abondante, qui comprend parfois des huîtres fraîches, semble conjurer les mois difficiles à venir. Pendant longtemps, cette célébration constitue un grand rassemblement communautaire qui resserre les liens au sein des hameaux. Cette entraide est essentielle, car dans les campagnes, chacun dépend régulièrement de ses voisins pour les activités agricoles et forestières, l’entretien des chemins, l’extinction des incendies, etc. La fête est également familiale, plusieurs voisins étant aussi parents. Le «Christmas tree» subsiste pendant plusieurs décennies, mais son importance diminue avec l’arrivée majeure des Canadiens-français et leurs propres traditions : messe de Minuit, réveillon, jour de l’An, étrennes et bénédiction paternelle. En plus, à l’église, à l’école et dans les journaux francophones, le clergé rappelle « nos » traditions et dénonce le modernisme anglo-protestant. Le «Christmas tree» décroît aussi avec la disparition de la vie rurale traditionnelle : fin de l’agriculture familiale, fermeture des petites écoles, etc. Déjà, dans les villages industriels, la fête devient marginale parce que leurs résidents sont moins liés les uns aux autres. Moins communautaires, les «Christmas trees» redeviennent alors liés aux «Sunday Schools» ou à d’autres organisations. Par exemple, en 1955, à Magog, le week-end précédant Noël, il y a trois «Christmas trees» différents: celui de l’église anglicane et deux organisés par l’armée. De plus, la commercialisation de Noël finit par s’imposer et le père Noël est désormais au cœur de la célébration. Ainsi, en 1943, la Chambre de commerce de Magog organise l’arrivée du père Noël, solennellement accueilli par le maire, en présence de milliers de personnes; au sous-sol de l’église Saint-Patrice, les commerçants remettent à chaque enfant présent un jouet et des sucreries. Après la 2e Guerre mondiale, la célébration traditionnelle disparaît également dans les villages. Depuis quelques années par contre, plusieurs municipalités de la région organisent un évènement festif au temps de Noël cherchant à raviver un peu l’esprit communautaire d’antan.   Par Serge Wagner

L’église de Millington décorée pour accueillir le Christmas tree. (Photo gracieuseté – Archives historiques d’Austin)
En décembre 1937, le premier hebdomadaire francophone de Magog, souhaite Joyeux Noël à ses lecteurs et à ses annonceurs. À cette époque, les journaux contribuent de plus en plus à la commercialisation de Noël.
Noël à la cathédrale de Sherbrooke, La Tribune, 1938. L’Église catholique a introduit ses propres symboles d’un Noël religieux.
Publicité, décembre 1949, Chronique de Magog. Après la 2e Guerre mondiale, la publicité impose une image commerciale du temps des Fêtes.