TRIBUNE LIBRE: Stanstead mérite davantage de respect

Monsieur Deschênes,

J’ai hésité longuement avant de répondre à votre texte, publié à la fois dans la Tribune et dans les versions internet et papier du Reflet du Lac. Votre missive vise plusieurs cibles et je crois que certaines d’entre elles méritent davantage de respect.

Mon hésitation vient du fait que la Ville de Stanstead a certes un rôle à jouer dans la sauvegarde de son patrimoine bâti, mais elle doit aussi faire certains choix, pour des raisons que vous invoquez vous-mêmes. Sans entrer dans les détails des lois et des règlements et des subtilités de la fiscalité municipale, disons simplement que nos revenus n’augmentent pas aussi rapidement que nos dépenses, et encore moins rapidement que l’on peut voir dans plusieurs autres municipalités. Le fait est que notre valeur foncière croît moins vite que dans certaines autres municipalités. Une des raisons qui peut expliquer cette plus faible croissance de la valeur foncière vient justement du fait que plusieurs de nos grandes propriétés patrimoniales, qui pourraient avoir une plus grande valeur, sont en mauvais état.

Sauf qu’une administration municipale, qui tire ses revenus en très grande majorité de la taxation imposée à ses citoyens, doit faire des choix. Et ces choix, elle doit les faire à l’intérieur d’un cadre légal plutôt strict. Que devons-nous faire face au problème de la décrépitude de plusieurs de nos bâtiments patrimoniaux? Les expropriés? Sur quelle base légale aurions-nous le droit de le faire? Les acheter, les rénover? La Ville s’est bien fait offrir des bâtiments patrimoniaux abandonnés pour 1$ par le passé. Si nous acceptions, qui paiera pour leurs rénovations, leur entretien, le chauffage, les assurances, et j’en passe? Et ensuite, on fait quoi de ces bâtiments? On parle ici d’un couvent dont une partie date du 19e siècle, d’églises, d’anciennes écoles, d’anciens hôtels construits au début du 20e siècle, ainsi de suite.

Pour justifier des investissements massifs de fonds publics dans la sauvegarde de notre patrimoine bâti, nous devons avoir un projet à y réaliser, quelque chose à faire avec les bâtiments. En tant qu’organisme public, qui tire ses revenus de la poche de ses contribuables, nous devons justifier nos projets en servant l’intérêt commun de nos citoyens. La sauvegarde du patrimoine, vous me direz, en est un. Bien sûr, mais à quel prix? Est-ce manquer de vision, comme vous nous en accuser, que de faire des choix, et ne pas systématiquement sauver des bâtiments patrimoniaux au péril des finances publiques?

J’ajouterai ceci : contrairement à ce que vous écriviez, l’ancien couvent des Ursulines est encore debout. Ce n’est qu’une aile, qui rattache la vieille partie à la résidence pour aînés, qui est tombée. Depuis que les Ursulines ont quitté, le bâtiment est vide, abandonné. Depuis 16 ans, il n’est à peu près pas entretenu. Je vous garantis que les propriétaires, qui possèdent l’ensemble de ces bâtiments n’ont pas investi des centaines de milliers de dollars pour séparer les bâtiments de gaieté de cœur. Quand vous dites : « En sommes-nous rendus là, dans nos villes et nos villages, c’est-à-dire à raser les plus belles traces de notre passé commun, au nom des assurances? Ces pauvres petites assurances de notre présent nous promettent des vies sans lendemain puisque tout semble désormais fait pour que nous nous trouvions coupés de notre passé», vous insultez des gens d’affaires qui proviennent de l’extérieur de notre communauté, mais qui ont tout de même à cœur de maintenir des personnes aînées dans leur communauté. Ils ont investi des centaines de milliers de dollars, je le répète, afin de pouvoir garder le Manoir ouvert. Sans ces «pauvres petites assurances», ces aînés seraient déracinés de leur communauté et relocalisés ailleurs.

À vous lire, on comprend que vous aimez mieux laisser tomber des membres de notre communauté au profit d’un beau bâtiment patrimonial vide et lui-même… abandonné.

Philippe Dutil

Maire de la Ville de Stanstead