TRIBUNE LIBRE: Penser l’avenir de notre richesse et en finir avec les élections du 19e siècle

Terminées les élections municipales. Les administrations municipales fonctionnent à nouveau. Le citoyen de la MRC Memphrémagog a-t-il gagné de cet exercice démocratique ? A-t-il élu dans sa municipalité des personnes capables de faire face aux défis actuels ? Des gens prêts à innover pour mettre en valeur la nature qui nous entoure ?

La richesse à préserver

La MRC Memphrémagog compte 12 municipalités, 50 415 habitants, 1449 de kilomètres carrés, des collines verdoyantes, des sentiers pédestres bucoliques, des pistes cyclables engageantes, de nombreux lacs dont les plus majestueux : le Memphrémagog, le Massawippi et le Magog. De tout temps, ces plans d’eau ont eu une grande importance : chemins des Abénakis durant leur migration annuelle ; voie d’arrivée des premiers colons loyalistes ou américains ; moteur du développement économique pour le transport des marchandises ; mise en valeur de la force hydraulique pour les moulins à grains, à laine, à bois, puis pour la génération d’électricité nécessaire à l’émergence de l’industrie textile et des autres qui suivirent.

Depuis plus d’un siècle, la villégiature et le tourisme représentent des piliers essentiels de l’économie régionale. Les lacs, les rivières et leur bassin versant sont une richesse unique pour la population et les vacanciers qui les fréquentent. De plus en plus de personnes viennent ici pour s’y établir, pour y vivre de paisibles années de retraite ou pour y élever une famille. La MRC Memphrémagog offre un cadre de vie merveilleux, dont les trois lacs mentionnés constituent des attraits majeurs.

La situation actuelle

Au cours des cinquante dernières années, la santé des plans d’eau s’est beaucoup améliorée, entre autres, par la captation des eaux domestiques, la végétalisation des berges, la modification de pratiques agricoles, la prohibition des engrais et pesticides. Ces initiatives ont été le résultat de règlementations municipales ou autres, promues par des élus ou des groupes de citoyens engagés, dont le groupe Memphrémagog Conservation, pionnier de la préservation du lac du même nom, mais aussi Bleu Massawippi, l’Association pour la préservation du lac Magog, COGESAF et d’autres.

Il y a bien ici et là des poussées d’algues bleues, des coins envahis par la végétation aquatique, des invasions de moules zébrées. Il faut aussi, en période caniculaire, fermer la plage publique de Magog pour cause de contamination bactérienne. Toutefois, nos merveilleux plans d’eau demeurent des endroits sains pour la détente et le loisir.

Mais les menaces sont nombreuses

Notons les principales. Changements climatiques : la hausse de la température provoquera des modifications dont l’amplitude demeure difficile à prévoir : prolifération des algues, réduction de la faune et de la flore, introduction d’espèces invasives, contamination diverse menaçant l’approvisionnement en eau potable de milliers de personnes.

L’incivilité : au cours des dix dernières années, le nombre d’embarcations sur le Memphrémagog a augmenté de 1000 unités. Celles-ci sont de plus en plus imposantes munies de moteurs plus puissants, et plus polluants qu’une automobile. Ces bateaux génèrent des nuisances au niveau du bruit et de la sécurité nautique, des perturbations favorisant l’érosion des berges et de la dispersion des espèces envahissantes. La croissance des marinas fait craindre le pire.

Le comportement de certains plaisanciers est cause de pollution importante : déversement de déchets, vidange des embarcations, déboisement des berges pour la construction de domaines considérables ne respectant pas les règlements municipaux.

L’appropriation de la nature : Le lac Memphrémagog (pour ne parler que de celui-ci) compte cent vingt-deux kilomètres de rivages. À peine trois ou quatre kilomètres de rives sont dédiés à l’usage des citoyens. Les rampes d’accès sont en très mauvais état et le coût d’utilisation de celles-ci devient prohibitif pour de nombreuses familles.

Certaines propriétés privées autour des lacs contrôlent autant de rivages que ce qui est accessible au public en général. La nature est déjà en voie de privatisation, contrairement à la tendance dans plusieurs pays de donner à la population l’accès aux berges. Faudra-t-il bientôt payer pour l’admirer le paysage ?

La nécessité d’agir

Les plans d’eau constituent des biens publics et doivent être mieux gérés par les organisations citoyennes et les pouvoirs publics.

L’engagement citoyen

Le rôle des associations de protection des lacs est fondamental pour la sensibilisation des élus, des utilisateurs des lacs et des citoyens, le suivi de l’état des plans d’eau et des rivières, et pour l’adoption de meilleures pratiques garantissant la qualité de l’eau. Il appartient aux citoyens, aux riverains et aux habitants de la région de soutenir ces associations. Les pouvoirs publics doivent également appuyer ces organisations financièrement et en services professionnels.

Memphrémagog Conservation, Bleu Massawippi et Association pour la préservation du lac Magog méritent l’appui de la population.

La gouvernance

La gouvernance actuelle d’un lac constitue un enchevêtrement de lois et de règlements, de ministères, d’offices, de pouvoirs élus ou attribués : de la loi de la marine marchande du gouvernement fédéral, à la politique et à la stratégie québécoise de l’eau 2018-2030, en passant par la politique relative à la gestion des cours d’eau de la MRC Memphrémagog, aux politiques et règlements des municipalités riveraines.

Le lac Memphrémagog compte six municipalités riveraines, le Massawippi cinq et trois bordent le lac Magog. S’ajoute à celle-ci les régies de lacs lorsqu’existantes et opérantes (rarement) et les sociétés de gestion des bassins versants. Chaque entité établit ses propres politiques, sa règlementation, selon ses préférences et contraintes. Certaines municipalités disposent de services d’environnement, mais l’écrasante majorité ne dispose pas des ressources nécessaires. Chaque « portion de lac » est donc laissée à l’initiative ou à l’inertie du conseil municipal. Quel serait l’impact d’une décision municipale si la municipalité voisine n’y adhère pas ? Que penser du pouvoir réel d’un conseil municipal devant la concentration de la propriété aux mains d’un petit nombre de propriétaires, riverains du lac ?

Sans mauvais jeu de mots, disons que la gouvernance des lacs et des rivières est diluée, sujette aux décisions fluctuantes des élus municipaux, parfois contradictoires entre elles.

Cette structure de gouvernance s’est constituée au début du 19e siècle avec l’établissement des cantons et la municipalisation de ceux-ci. Si à l’époque il était primordial de découper des territoires d’une taille acceptable compte tenu des moyens de circulation (le cheval), la situation a bien changé.

La solution

Il n’y en a qu’une : UN LAC, UNE VILLE. Regrouper toutes les municipalités riveraines d’un lac en une seule administration municipale. Nous aurions donc la ville du Memphrémagog, celle du Massawippi et celle du lac Magog. Réduction du nombre d’intervenants, uniformisation des règlementations, économies d’échelle et capacité financière d’intervention, avec pour conséquences une cohérence des règlementations, une efficacité d’action et un contrôle citoyen plus important. Tels sont parmi les bénéfices environnementaux attendus de ces regroupements.

Bien sûr, d’autres paliers de gouvernements ont un impact sur nos lacs et nos rivières. Le regroupement des municipalités augmentera le rapport de force pour susciter les changements nécessaires au niveau de la circulation des embarcations, de la protection des berges ou du milieu environnant et de l’accessibilité publique. Sans parler des autres économies d’échelle assurées.

Le changement, bien que nécessaire, ne sera ni simple ni facile, la résistance sera importante. D’où ce changement viendra-t-il ? De la volonté citoyenne, de la clairvoyance d’élus municipaux, du gouvernement provincial ? Les bouleversements climatiques sont présents et n’ont pas de frontières. Nous disposons des quatre prochaines années pour assurer la survie et le développement de notre richesse régionale.

Jean Brodeur

Sainte-Catherine-de-Hatley