TRIBUNE LIBRE: À Stanstead, l’assurance de la honte

Une pelle mécanique, une immense pelle mécanique jaune vient de jeter par terre, le 27 octobre dernier, une portion importante d’un des plus beaux immeubles des Cantons de l’Est : le couvent en briques rouges des Ursulines de Stanstead.

L’entreprise qui a acquis ces lieux pour en transformer une partie en résidence pour personnes âgées affirme que cette démolition a été réalisée «pour la sécurité de nos résidents et pour une question d’assurance». Le Manoir Stanstead, lit-on dans son communiqué, sans plus de précision, «n’avait pas d’autre choix que de faire la démolition d’une partie du bâtiment».

Pas d’autre choix, vraiment?

En sommes-nous rendus là, dans nos villes et nos villages, c’est-à-dire à raser les plus belles traces de notre passé commun, au nom des assurances? Ces pauvres petites assurances de notre présent nous promettent des vies sans lendemain puisque tout semble désormais fait pour que nous nous trouvions coupés de notre passé. Plus de passé, par mesure de sécurité! Voilà le chemin le plus certain de finir tous écrasés dans l’engourdissement d’un présent où personne ne saura plus d’où il vient, tout en privant notre environnement des traces de ce que nous aurons réalisé de plus beau.

La direction du Manoir Stanstead, pour mieux se justifier de cette destruction autorisée par la Municipalité, a indiqué sur Facebook qu’elle allait installer, à la place du bâtiment, «un étang avec plantes aquatiques et poissons ainsi qu’une terrasse afin que les résidents puissent voir ce qui se passe en ville». Est-ce bien ce qu’on peut une vision d’avenir au milieu d’une municipalité comme Stanstead?

Il y a encore pire dans cette histoire quand on prend la peine de considérer d’un peu plus loin la place et le rôle de cet immeuble patrimonial dans sa communauté. Stanstead souffre de plusieurs problèmes sociaux documentés, dont un des taux de décrochage scolaire les plus importants au Québec.

Manque de vision

Le triste sort réservé aujourd’hui au couvent des Ursulines de Stanstead illustre avant tout le manque de vision de notre société en matière d’aménagement du territoire de son manque de conscience des richesses dont elle devrait être en droit de profiter.

Lorsque les religieuses quittent Stanstead en 2004, elles laissent derrière elle une institution scolaire de renom qui a contribué à éduquer des générations de jeunes filles. Pourquoi ne pas en profiter?

L’architecture de son immeuble historique ne se compare en rien aux écoles basses de béton qui constituent désormais le lot quotidien des enfants québécois sur les bancs de leurs écoles du ministère de l’Éducation. Chez les Ursulines, voici plutôt des classes installées au milieu de riches boiseries en chêne. On trouve là une belle bibliothèque commune. Un magnifique gymnase moderne, lequel constitue d’ailleurs un ajout récent à l’ensemble architectural. Sans parler d’une remarquable chapelle historique qui, peu importe si on est croyant ou non, force l’admiration de quiconque. Autour de cet immeuble élégant, des jardins fleuris, des espaces verts, un cours pour les jeux des enfants. On sait bien, depuis longtemps, que la qualité et la majesté des lieux ont des effets importants sur la transmission des savoirs. Pourquoi ne pas avoir su profiter de ceux-ci collectivement?

Tout près de là, à quelques mètres en fait, une de nos malheureuses écoles primaires, baptisée Jardins-Des-Frontières. Là, il n’y a pas de gymnase, pas de boiseries, pas de jardin, pas de chapelle ancienne, pas de vraie bibliothèque. Les enfants y sont entassés dans des locaux sans âme. Comment diable une société peut-elle se priver de ce qu’elle a elle-même financé du côté des religieuses, en se contentant de si peu par la suite, se fermant les yeux devant la richesse qui se trouve accessible, au bout de son nez, là, de l’autre côté de la rue?

Si le couvent des Ursulines était si beau, si riche, si plein de promesses pour des enfants en âge d’apprendre, cela ne tombait pas du ciel. Nous avons financé tout cela collectivement. Par des dons à l’Église, mais aussi par le fait que les communautés religieuses ne paient pas d’impôt. Cela dit sans vouloir ne rien enlever, bien entendu, au dévouement réel de générations de religieuses parfois extraordinaires.

L’aile sud du couvent de Stanstead est devenue un centre pour personnes âgées, à l’heure tragique où celles-ci sont les premières menacées par la Covid-19. Quand une ville manque à ce point de respect envers son patrimoine le plus éclatant, c’est non seulement au passé de ces personnes âgées qu’elle fait affront, mais aussi en l’avenir de sa jeunesse.

François Deschênes

Aménagiste

Sherbrooke