Pourquoi Magog et Austin s’investiraient-ils dans la fibre optique?

Il y a une semaine le 23 février, à l’occasion d’une séance d’information patronnée par Magog Technopole, nous avons compris que Magog allait rater le train du 21e siècle si elle ne participait pas directement à la mise sur pied d’un réseau de fibre optique « jusqu’à la maison » comparable à celui déjà implanté par Google à Kansas City aux États-Unis. En fait, aux dires des panellistes, le réseau FTTH (Fiber to the Home) de Magog serait supérieur, parce qu’il serait désormais « ouvert » à tous les fournisseurs alors que celui de Kansas City reste « fermé » parce que financé par Google, sans l’aide des contribuables. Je dois dire qu’à Austin on connaissait déjà la chanson : un conseiller nous a déjà affirmé lors d’une séance récente du Conseil, que le réseau qui serait mis en place serait « une première au Canada »! J’en conclus que les deux villes ont probablement été visitées par les mêmes gourous!

 

Ce que l’on ne nous a pas dit ce samedi-là, c’est que la fibre optique est déjà largement déployée à Magog et à Austin dans les zones plus densifiées. Ce que l’on ne nous a pas dit également, c’est que la fibre optique est non seulement déployée, mais disponible à chaque porte de toutes les entreprises du parc industriel. Parce qu’en théorie, c’est pour attirer les entreprises qu’on qu’ont voudrait faire ça.

 

Alors pourquoi les contribuables de Magog et d’Austin devraient-ils soutenir ce projet d’un deuxième déploiement réseau de fibre optique (un autre fil sur nos poteaux) quand il y en a déjà un, qui ne se rend peut-être pas jusqu’à la maison (Fiber to the neighborhood ), mais qu’il s’y rendra éventuellement avec l’augmentation de la demande? (Bell a aussi un réseau moins performant avec du fil de cuivre et une part de marché d’environ 30%). Oui pour l’instant, la « drop » comme l’appellent les techniciens, est comblée par un fil coaxial jusqu’à la maison, mais ce n’est qu’une question de temps! Demander aux contribuables de Magog d’apporter leur support financier, soit directement par leurs taxes ou par un projet d’emprunt pour se substituer aux entreprises privées déjà bien présentes, relève à mon avis d’un non-sens absolu.

 

Lors de cette assemblée du samedi 23 février qui ne présentait qu’un côté de la médaille, les panellistes ont tactiquement évité d’aborder la question délicate des coûts. Sait-on par exemple ce que ça coûterait d’implanter un nouveau réseau? À Magog au moins 1000$ par maison. Donc pour 9,000 maisons : 9$ millions. À Austin on est en milieu rural. Or sur la base d’expériences récentes à la MRC d’Acton couvrant plusieurs municipalités telles que St-Nazaire d’Acton (725 maisons) et à la MRC de la Haute-Yamaska (600 maisons), on parle de plus de 2,300$ par maison soit un investissement total de plus de 3$ millions. Austin compte en effet plus de 1,300 portes.

 

Nous ne sommes pas à Tombouctou. À Magog, Cogeco offre un service internet avec une limite d’usage de 25 Go et une vitesse de téléchargement de 5 Mbps pour moins de 40$. Ah vous me direz, « Mais ce n’est pas très rapide. Bell avec sa fibre optique jusqu’à la maison parle de 175 mégabits – Mbps! » À cela je répondrai que c’est tout juste en dessous de la moyenne canadienne. Mais il y a aussi d’autres forfaits : pour 18$ de plus par mois vous pouvez quadrupler votre vitesse, soit 20 Mbps, avec une limite d’usage de 100Go. Cette fois vous êtes largement au-dessus de la moyenne canadienne! Consultez votre compte sur internet. Y en a-t-il beaucoup parmi vous qui consomment 100Go par mois? Dans le Domaine Mont-Orford où je réside, pour un autre 5$ de plus je suis abonné à une vitesse de 15 Mbps et une limite d’usage de 200 Go. Que pourrait nous offrir de plus, et au même prix, ce PPP (partenariat-public-privé) de Magog et cette Coopérative de solidarité d’Austin? J’aimerais voir les chiffres! On refuse de les mettre sur table même si à Magog on veut maintenant précipiter un appel d’offres en escomptant un miracle à la clé. En effet, je ne vois pas très bien quelle entreprise voudra investir des montants aussi importants sans avoir la certitude d’un retour raisonnable sur ses investissements. Le seul réseau ouvert qui existe à ma connaissance au Canada, a été financé par le gouvernement albertain. L’autre modèle c’est l’entreprise privée. Bell Alliant offre déjà la fibre optique à la maison (FTTH) à 650,000 clients dans les provinces atlantiques ce qui en fait le 2e fournisseur en importance en Amérique du Nord.

 

À Austin certains citoyens diront : « Mais Michel moi je n’ai pas accès au même service que toi »! À cela je répondrai : « Moi je vis dans un développement largement densifié d’une centaine de maisons qui pourrait en accueillir une trentaine d’autres. Vous, vous avez choisi, et je ne critique pas votre choix, de vivre à l’écart, d’investir un coin de paix unique. N’attendez pas de moi que je subventionne un service pour tous par le biais d’une coopérative. J’ai déjà le service. » S’est-on informé sur les plans d’investissements d’Axion, de Cogeco et de Bell Canada? Alors pourquoi ce snobisme voire ce mépris, de l’entreprise privée? Quel « agenda » vous guide mesdames et messieurs les Conseillers de Magog et d’Austin?

 

La fibre optique passe à 30 mètres de chez moi et un jour qui ne tardera sûrement pas, elle sera branchée directement à ma télévision intelligente qui est déjà intelligente sans la fibre optique! Plus les applications deviendront accessibles, plus la consommation augmentera et plus les distributeurs devront installer à leurs frais de la fibre optique jusqu’à la maison pour répondre à la demande. Pour l’instant le besoin d’un réseau de fibre optique jusqu’à la maison n’est pas pressant. En fait, moins de 5% des clients de Cogeco et d’Axion optent pour le service internet de haut débit.

 

Enfin on voudrait faire ça pour attirer des entreprises de haute technologie? Regardez Boréalis qui est en train d’aménager dans l’ancienne succursale de la SAQ sur la rue principale à Magog. C’est une entreprise de haute technologie qui exporte ses produits aux quatre coins de la planète et qui comptera bientôt 200 employés. Ils sont à Magog pour d’autres raisons, dont la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée. Ils prennent de l’expansion sans attendre la fibre optique de Magog Technopole. Qu’est-ce qu’on veut corriger au juste?

 

Voyons maintenant les subventions. C’est vrai que dans les MRC citées plus haut près de la moitié du coût des projets a été couvert par les subventions, mais il y avait un déclencheur : les usagers n’avaient aucun accès à un service internet de haut débit. Ce n’est pas le cas ni à Magog ni à Austin ou dans cette dernière, ville d’origine du célèbre scientifique Fessenden, plus de 85% des gens (1,115 portes) ont accès, grâce à la fibre optique sur les poteaux, à une bande passante via des branchements filaires jusqu’à la maison (cuivre ou coaxial) qui comblent la différence. Il y a deux ans, le gouvernement de M. Charest a annoncé un vaste programme de 900$ millions pour offrir l’internet à 100 mégabits – Mbps…..d’ici 2020. On attend toujours les règlements du « virage numérique »! Lors du premier budget de M. Marceau, le ministre des Finances s’est montré silencieux sur le projet de déploiement de 900$ millions. Apparemment il a maintenant d’autres chats à fouetter! Avis donc aux gourous qui voudraient nous faire croire que les subventions tomberont du ciel pour Magog et Austin. La vérité c’est que ce sont les citoyens et les sociétaires de la coopérative qui devront payer, sous une forme ou une autre, ce nouveau service alors que le besoin est loin d’être évident et que la solution proposée ne semble pas optimisée.

 

Au début des années 2000, la ville de Burlington au Vermont à deux heures de route d’ici sauta dans la soupe avec les mêmes objectifs que Magog Technopole. La ville prêta 17$ millions à la société municipale et Burlington Telecom. La voilà maintenant poursuivie par son créancier, Citibank, pour 35$ millions. Avec des dépassements de coûts de 50%, ses obligations municipales ne valent guère plus que les obligations de pacotilles. Même si Burlington Telecom offre une vitesse semblable à celle de Google à Kansas City, l’aventure financière est loin d’être terminée et une coopérative voudrait maintenant prendre le relais. Pourtant Burlington Telecom avait toutes les chances de son côté avec des collèges, une université et une grappe d’entreprises de haute technologie. Alors prudence! La potion magique « financière » n’existe pas dans l’implantation de la fibre optique.

 

Oui, mais il y aurait peut-être plus de concurrence et les prix aux consommateurs pourraient baisser. Je suis le premier à le souhaiter, mais nous habitons des villes de 25,500 et de 3,600 habitants, incluant les villégiateurs. Les petits fournisseurs d’internet veulent d’abord se lancer sur d’autres patinoires plus attrayantes comme Montréal, Toronto ou Calgary. Mais grâce au CRTC le réseau est déjà « ouvert ». L’organisme fédéral a établi un mode de facturation dont j’ai été un des principaux artisans (les transcriptions des audiences de 2011 peuvent en témoigner), en vertu duquel les petits fournisseurs peuvent désormais en toute transparence et avec l’épée de Damoclès d’un arbitrage des prix du CRTC, acheter de la capacité sur les réseaux de Cogeco et d’Axion et offrir ainsi des forfaits plus attrayants pour les consommateurs. Je serai toujours un disciple invétéré de la concurrence, c’est ce qui nous manque à nous les consommateurs, mais allons-nous investir massivement dans des deuxièmes réseaux, voire un troisième réseau, à Magog et à Austin simplement pour mousser la concurrence? Dans les conditions actuelles, ce serait très cher payé.

 

 

Michel Morin

Contribuable d’Austin

michelmorin@axion.ca

Twitter : @morininfo