TRIBUNE LIBRE: Une vente légale, mais immorale

Dans mon quartier se trouve un lot de 19 maisons possédant chacune un imposant terrain et offertes en location à petit prix depuis les années 1980 – on parle actuellement d’un loyer d’environ 800 $ par mois. Des familles à revenu modeste et des gens vivant seuls occupent la plupart de ces maisons qu’ils aménagent comme si c’étaient les leurs : l’une possède un immense jardin, l’autre y a tenu son service de garde, etc.

Cet été, j’ai vu apparaître une première pancarte à vendre devant l’une d’elles; puis rapidement une deuxième, une troisième, une quatrième…

En allant cueillir mon courrier il y a quelques jours, j’ai croisé deux locataires qui, à leur grand désarroi, ont vu leur maison être mise en vente. Elles organisaient chacune une vente de garage pour se créer un petit coussin en vue de leur éviction prochaine. Leur propriétaire, m’ont-elles dit, souhaite vendre toutes les maisons de ce véritable «quartier dans un quartier». Je leur ai acheté quelques articles pour leur exprimer ma solidarité, même si avec 20 piasses, comme disait ma mère, tu ne vas pas ch*** loin avec ça.

Depuis ma rencontre avec ces dames, je n’ai pu m’empêcher de penser à elles, ainsi qu’à ces parents et leurs adolescentes qui habitent une de ces maisons depuis plusieurs années, à cette famille dont le père avait aménagé une gigantesque patinoire cet hiver… et à tous les autres locataires dont je ne connais pas l’histoire.

Dans les prochains mois, mon quartier se videra d’une partie de sa communauté : des familles bien ancrées comme d’autres tout juste arrivées, des personnes âgées, des mères célibataires…

Où iront-elles? C’est la question que je me pose depuis que je suis allée chercher mon courrier.

À quel prix?

La vente de ces petites maisons construites à la va-vite pour une bouchée de pain il y a 40 ans pourrait rapporter une somme considérable à leur unique propriétaire. On peut évidemment comprendre, du côté du vendeur, l’attrait que représente une transaction de cet ordre. Mais quel prix sommes-nous prêts à payer pour voir disparaître toute une communauté? Certes, la vente de cet ensemble immobilier est en tous points légale, mais est-elle pour autant morale? Quand les droits et intérêts individuels menacent de miner toute une collectivité, la moindre chose est d’en parler.

Peu d’endroits au Québec restent épargnés par la pénurie de logements et le manque criant d’habitations locatives abordables. À ces réalités s’ajoute une flambée du coût des loyers, attisée puissamment en raison de la pandémie. Saviez-vous qu’à Magog, il faut dorénavant débourser en moyenne 650 $ par mois pour un 3½ et 850 $ et plus pour un 4½?

Je pose donc à nouveau ma question : où iront les 19 ménages de mon quartier?

La Ville de Magog n’a-t-elle pas un rôle essentiel à jouer dans ce scénario catastrophe en apportant une aide à ces personnes?

Voir autre texte «On sonne l’alarme pour créer des logements sociaux dans Memphrémagog».

Marie-Claude Masse

Citoyenne de Magog