TRIBUNE LIBRE: Patrimoine : le maire de Stanstead prend le problème à l’envers

À lire le maire Philippe Dutil, premier officier de la municipalité de Stanstead, on comprend que la richesse de sa ville en matière patrimoniale constitue, à son sens, un facteur de pauvreté. Pourquoi? Parce que les propriétés patrimoniales de cette ville, très nombreuses, sont en mauvais état, explique-t-il. Ce qui constitue une des raisons qui peuvent expliquer, à l’en croire, que la valeur foncière de sa ville progresse moins vite qu’ailleurs. Je le cite : « plusieurs de nos grandes propriétés patrimoniales, qui pourraient avoir une plus grande valeur, sont en mauvais état». Et il avoue, tout bonnement, ne pas savoir quoi en faire.

Alors Monsieur le maire dégaine et, avant de réfléchir plus longtemps, tire à bout portant : pour lui, il ne fait pas de doute que ce sont les bâtiments anciens qui sont coupables de cette dévitalisation.  Et il conclut donc que vouloir les préserver conduit à vouloir laisser tomber les membres de sa communauté, puisque ceux-ci ne peuvent compter sur les taxes de tels bâtiments dévalorisés.

Sauf votre respect, Monsieur le maire, c’est vraiment prendre le problème très à l’envers.

Stanstead compte, en raison d’une riche histoire qui se reflète son patrimoine bâti, pour l’un des plus beaux coins du pays des Cantons de l’Est. Ce n’est pas pour rien que Stanstead, pour un temps, disputa à Sherbrooke le titre de capitale régionale. Supposons Monsieur le maire, pour les fins de cette discussion, que vous êtes au moins d’accord avec le bien-fondé de la beauté de votre municipalité.

Une loi utile

Comme tant d’autres maires, vous ne semblez pourtant pas informé des possibilités qu’offre la loi québécoise en matière de patrimoine quand vient l’heure de valoriser le riche héritage de votre communauté. Vous pourriez pourtant en tirer de riches bénéfices. Pas un mot pourtant, dans votre propos qui invite à la démission face au patrimoine, sur les avantages de cette législation, comme si cela ne comptait pour rien pour une ville dont le potentiel est aussi riche que la vôtre.

La loi de 2012 sur le patrimoine permet à une municipalité de citer des bâtiments pour assurer leur préservation. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement? Que Stanstead pourrait obtenir de l’aide financière à la rénovation et la mise en valeur de ses bâtiments anciens. Mais encore faut-il se donner la peine de faire les démarches nécessaires.

Combien d’immeubles liés à sa riche histoire le conseil municipal de Stanstead a-t-il cité, en accord avec cette loi, depuis  2012? Aucun.

Seule l’église Stanstead South United, située à quelques mètres de la frontière américaine, jouit d’une considération municipale officielle. Et seulement pour son extérieur. La mesure date de 2009, c’est-à-dire d’une autre administration. Depuis, rien. Voilà qui est bien embêtant, sachant que bien de l’argent est passé pendant toutes ces années sous le nez de la municipalité.

En temps normal, il défile par les rues de Stanstead, surtout l’été, des milliers de voyageurs, qu’ils soient en route pour les États-Unis ou qu’ils soient à découvrir  les alentours du lac Memphrémagog. Peut-on imaginer qu’une ville pareille, parée d’autant d’avantages immobiliers, ne saurait les attirer encore davantage si ses magnifiques bâtiments anciens étaient mieux tenus?

En vertu de cette même loi de 2012, il est possible de demander à l’État du Québec de classer un bâtiment, ce qui lui accorde dès lors un intérêt national et de l’aide financière. Stanstead a-t-elle déjà déposé une telle demande de classement en règle?  Rien ne l’indique.

De l’argent disponible

En décembre 2019, la ministre de la Culture et des communications annonçait un programme de plus de 30 millions $ pour aider les municipalités à rénover leur patrimoine. Ce programme a été bonifié, en septembre 2020, de plus de 21 millions $. Aux municipalités qui en font la demande, Québec donne la possibilité d’engager du personnel compétent pour dresser un inventaire patrimonial et voir à assurer la mise en valeur de celui-ci grâce à des subventions à la rénovation offertes aux propriétaires. Stanstead a-t-elle fait une telle demande qui lui aurait permis non seulement de créer de l’emploi mais d’assurer son embellissement? Non.

Il faut trouver des usages aux bâtiments anciens, tel que vous l’indiquez, Monsieur le maire. Une ville a en effet le devoir de mobiliser ses citoyens dans des projets structurants qui ne balaient pas du revers de la main son passé. Qu’a fait Stanstead de ce côté? A-t-elle vraiment su mobiliser sa population et toute une région qui profite pourtant de ses beautés?

Pour vous dédouaner de la destruction malheureuse d’une portion du couvent de Stanstead, une des plus belles institution de cette ville, vous affirmez, Monsieur le Maire, que ce n’est qu’une aile du bâtiment qui a été jetée par terre et que, de toute façon, le reste  «n’est à peu près pas entretenu» depuis 16 ans. Autrement dit, tandis que les outils sont disponibles mais que vous ne les utilisez pas, vous demandez à ce que la population du Québec soit satisfaite devant un tel gâchis?

Non, Monsieur le maire, ce n’est pas qu’un aile de ce bâtiment qui a été jeté par terre. Car  à force de couper, une à une, les ailes de nos villes et de nos villages, on finit par clouer ceux-ci au sol pour de bon.

Oui, pour reprendre le titre de votre réplique, mais exposé sous un autre éclairage, on peut dire que «Stanstead mérite davantage de respect».

François Deschênes,

Aménagiste

Sherbrooke