Un peu de lumière sur le baseball sous les réflecteurs

En faisant des recherches dans La Tribune au cours des années 1980, je suis tombé par hasard sur ce titre datant du 12 août 1932 : «Une partie de baseball à la lumière électrique a été jouée à Magog hier». La nouvelle avait de quoi surprendre. D’autant plus que l’article débutait de la façon suivante : «La première partie de baseball jouée à la lumière électrique dans les Cantons de l’Est a eu lieu hier soir ici…»

Il aurait pu s’agir d’une erreur de la part du journaliste. Mais celui-ci précise que la partie opposant des joueurs des villes frontalières à une équipe composée d’Afro-Américains, les Giants de Brooklyn, a bel et bien débuté à 21 heures. Ces derniers l’ont emporté par un pointage de 9 à 0. L’événement a suscité un grand intérêt. Malgré la pluie, qui n’a cessé qu’à la 6e manche, environ 600 spectateurs se seraient déplacés (Magog compte alors 6 302 habitants!).

Ce n’est pas la première équipe afro-américaine à s’arrêter dans la région. Le 8 juillet 1929, par exemple, les Tigers de Boston ont joué à Magog, vraisemblablement sur le terrain situé à proximité des usines de textile, entre les bâtiments de l’imprimerie et la rivière Magog, à peu près sur l’emplacement du futur département Colonial. Le terrain de la pointe Merry et le stade Théroux n’existaient pas à cette époque.

L’affirmation à l’effet que la partie du 11 août 1932 avait été la première disputée sous la lumière électrique dans les Cantons de l’Est continuait néanmoins de m’intriguer. Des systèmes d’éclairage permanents existaient dans les ligues mineures depuis 1930, dans le but d’attirer les partisans disponibles sur semaine, après les heures de travail. Les Royaux de Montréal de la Ligue internationale y eurent recours à partir du 18 juillet 1933, et les Ligues majeures de baseball du 24 mai 1935.

Mais à Magog en 1932? L’article de La Tribune me laissait d’autant plus perplexe que des vétérans du baseball local, comme Marc-André Cliche, m’assuraient n’avoir jamais vu ou entendu parler à ce moment d’un stade sous les réflecteurs dans notre ville. C’est le Parc de l’Est, inauguré le 26 juin 1965, qui sera le premier à offrir un tel système.

La réponse est venue de la biographie du célèbre lanceur afro-américain Leroy «Satchel» Paige, écrite par Larry Tye en 2009. Ce dernier m’apprenait en effet que lors de leurs tournées, les formations composées de joueurs noirs utilisaient un système de lumières portatif. Paige, comme les autres Afro-Américains, jouait alors dans des ligues réservées aux Noirs, puisque les Ligues majeures pratiquaient une politique de discrimination totale à leur endroit. Elle ne prendra fin qu’en 1947 avec l’arrivée de Jackie Robinson au sein des Dodgers de Brooklyn.

Pour ajouter à leurs revenus, ces athlètes faisaient donc du «barnstorming», soit des tournées itinérantes en autobus qui pouvaient les amener dans les régions pour livrer des parties d’exhibition contre des formations locales. Avec des lumières, ils pouvaient faire plus d’argent en évoluant le jour dans une ville, puis en soirée dans une autre.

Ce système n’avait évidemment rien à voir avec les structures permanentes de certains stades. Pouvant être monté entre 1 heure 45 et 2 heures, celui utilisé à Magog en 1932 était probablement muni de pôles télescopiques d’environ 50 pieds, avec 6 lumières par pôle. Installé dans le champ centre, le générateur les alimentant pouvait consommer 15 gallons d’essence à l’heure. L’investissement le plus important était l’achat du système qui coûtait entre 50 000 $ et 100 000 $, une fortune au début des années 1930.

Tous en conviennent alors, jouer à la lumière du jour, comme ce fut la tradition jusque-là, était préférable à la lumière électrique qui était loin d’offrir la même qualité que les systèmes actuels. Le fait de pouvoir jouer le soir constituera néanmoins une révolution, permettant à plusieurs ligues et équipes de baseball de garder la tête hors de l’eau pendant la crise des années 1930. Et aux Magogois de vivre une soirée magique le 11 août 1932!

 

Par Serge Gaudreau et Maurice Langlois