Chronique historique: suspense à la pisciculture!

La série documentaire «39-45 en sol canadien», présentée au printemps 2021 par TV5 Monde, nous a rappelé que même s’il se déroulait essentiellement en Europe, en Asie et en Afrique, le conflit le plus meurtrier de l’histoire a aussi eu des répercussions au Québec. Ce fut le cas sur le plan économique, évidemment, mais aussi sur le plan social. Que l’on pense par exemple au travail des femmes dans les manufactures.

Un autre aspect que la série aborde est celui de la sécurité. Dès la déclaration de guerre, en septembre 1939, des mesures sont adoptées afin de protéger des lieux considérés comme stratégiques. C’est le cas à Magog où John Peters, un cadre de la Dominion Textile, est suffisamment inquiet pour envoyer une lettre à la Gendarmerie royale du Canada lui demandant d’organiser un système de protection contre le sabotage autour des usines.

Dans cet élan, la direction interdit l’accès à la passerelle menant au barrage, considère entourer ses bâtiments de projecteurs et, à partir de décembre, oblige ses employés à s’identifier avant d’accéder aux lieux de travail. Un service de sécurité, les Frontiersmen, est même mis sur pied. Comprenant quelques dizaines de membres, il est dirigé par un vétéran de la guerre 1914-18, l’ex-maire James Edgar Kingsland.

Ce contexte frappe l’imagination d’un auteur de la région, Gordon Philip England. Ce natif de Dunham, diplômé du Stanstead Business College, écrit assidûment depuis plusieurs années. Il est à l’origine de plusieurs nouvelles (short stories) parues dans des revues de science-fiction américaines, dont Weird Tales. À partir de 1943, il contribue aussi à Jack and Jill, une revue éditée en Philadelphie qui s’adresse aux jeunes. Les deux publications existent toujours. Enfin, England a pondu quelques romans qui ne sont pas publiés, dont un se déroulant autour du lac Memphrémagog

En 1940, le prolifique auteur offre au Northern Messenger, un hebdomadaire montréalais, une nouvelle intitulée «Guards at the Dam». L’intrigue a du coffre. Elle relate l’intrusion de deux agents allemands dans la pisciculture de Magog, située le long de la rivière. Après avoir neutralisé deux des occupants, ceux-ci se proposent d’envoyer une mine flottante exploser contre le barrage, une centaine de mètres en aval. Leur but : causer des dégâts massifs à la structure ainsi qu’aux usines de la Dominion Textile qui produisent du matériel pour l’armée canadienne. Ils veulent ainsi paralyser le travail et inonder des terres, causant des morts le long de la rivière.

Heureusement, l’intervention providentielle d’un autre occupant de la pisciculture, qui réussit à attirer l’attention des Frontiersmen, mettra fin au complot.

En plus de se situer à Magog, le récit de «Guards at the Dam» nous intéresse dans la mesure où il met en évidence de véritables Magogois dont les noms ont été changés. George Belknap, le surintendant de la pisciculture, devient George Bentley, alors que son frère Merrick s’appelle pour l’occasion Slim, et Kingsland le capitaine Kinglake. Quant à Terry Gorman, qui sauve la situation, il s’agirait de Perry Bacon. Ce sont vraisemblablement des gens que l’auteur, Gordon Philip England, a bien connus.

Tout est donc bien qui finit bien!

Nous n’aurions toutefois jamais eu accès à cette nouvelle sans une initiative de l’Outlet, qui l’a publiée en feuilleton de juillet à octobre 1994. Une autre des nombreuses contributions de ce mensuel de langue anglaise à notre connaissance de l’histoire locale.

Quant à Gordon Philip England, qui a aussi agi comme correspondant à Sutton pour le Sherbrooke Daily Record, il est décédé à Dunham le 14 janvier 1992.

 

Serge Gaudreau

Maurice Langlois

Membres de la Société d’histoire de Magog