Le Magog Enterprise: un témoin silencieux de notre passé

On demande souvent aux historiens sur quelles sources ils s’appuient pour raconter le passé, particulièrement sur le plan local où les traces semblent moins évidentes. Évidemment, on pense d’entrée de jeu aux témoignages oraux de ceux qui ont vécu la période étudiée. Cette ressource a cependant des limites.

Quant aux documents, la réponse varie selon les villes et ce qui a été conservé. Les journaux personnels ou les photographies, par exemple, peuvent être des outils intéressants, à condition d’être accessibles. Les procès-verbaux, la correspondance ou les rôles d’évaluation et de perception des Municipalités contribuent également, à leur façon, à reconstituer l’histoire.

Une des références les plus intéressantes demeure la presse écrite. Bien que fragmentaires, et parfois même incorrectes, les informations véhiculées par les journaux donnent accès à un monde qui, autrement, resterait hors de notre portée. À Magog, une première tentative est faite en 1885 avec le «Magog News and Stanstead County Advocate». Il s’agit toutefois d’un journal publié à Saint-Jean auquel on ne greffe que quelques entrefilets locaux.

Le premier véritable journal d’ici est le «Magog Enterprise». Son premier numéro est publié le 10 janvier 1895. Portée par la croissance de l’industrie textile, la ville est alors en pleine expansion. Le propriétaire de l’«Enterprise» est John Rufus Wilcox. Né en Angleterre, ce dernier sera très actif à Magog. En plus d’être secrétaire-trésorier de la Chambre de commerce (Board of Trade), il sera conseiller municipal, puis maire de la ville de 1906 à 1908. Il vendra son journal à Cunnigham & Styan en 1919.

Bien que d’allégeance conservatrice, cet hebdomadaire publié à l’origine le jeudi n’a pas de page éditoriale. On y retrouve essentiellement des informations typiques de la presse de l’époque : nouvelles régionales, feuilletons en tranches hebdomadaires, publicités, etc.

Pour nous, son intérêt réside surtout dans ses nouvelles magogoises. La section «Town Topics» en regorge. Certaines sont plutôt banales, comme le passage d’un visiteur chez des membres de sa famille. Mais d’autres nous éclairent sur des événements importants, comme l’arrivée des «water wheels» pour la future centrale électrique (18 novembre 1897) ou l’annonce du passage du premier ministre du Canada, Arthur Meighen, qui fera un discours dans le futur parc des Braves, près de la caserne de pompiers (16 septembre 1920). Il arrive aussi que des extraits du «Magog Enterprise» soient reproduits dans des journaux régionaux, comme le «Sherbrooke Daily Record».

Malheureusement, peu de copies de ce journal magogois ont survécu au temps; en tout, une dizaine de numéros. On pense même à un moment donné qu’il s’éclipse en 1918, avant de retrouver quelques copies datant de 1924. Elles avaient été laissées sans protection dans un dépôt d’archives, au sous-sol de l’hôtel de ville de Magog. Aujourd’hui, les rares numéros du «Magog Enterprise» sont reproduits sur microfilms, assurant leur pérennité. Ils sont notamment accessibles à la Société d’histoire de Magog.

C’est tout de même peu. En effet, qui sait quel éclairage une presse locale aurait pu nous apporter sur les incendies qui ont dévasté la rue Principale le 6 septembre 1897 et le 19 avril 1901? Ou sur les grèves qui ont paralysé les usines de textile entre 1900 et 1911? La présence d’entrefilets réguliers aurait également pu nous en apprendre davantage sur les loisirs de l’époque ou le va-et-vient des Magogois aux États-Unis, particulièrement au moment où le mouvement d’exode atteint son sommet, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe.

Mais voilà, à moins d’une surprise, cette connaissance de notre histoire a disparu à jamais, en même temps que les pages du «Magog Enterprise». En ce sens, celui-ci aura été un témoin de notre passé dont le silence continue de nous hanter.

 

Serge Gaudreau et Maurice Langlois