Deux siècles d’épidémies à Magog (1820-2020)

Avec la COVID-19 due au coronavirus, Magog n’en est pas à sa première expérience avec des épidémies de maladies contagieuses : choléra, variole, typhoïde, diphtérie, scarlatine, rougeole,  etc. Dès 1832, une épidémie de choléra sévit au Québec, mais à cause de son isolement et du peu de population, la région est épargnée. Une autre sévit à Québec en 1854, mais elle est à peine mentionnée dans les Cantons-de-l’Est.

Le 7 mars 1820, Ralph Merry IV écrit dans son journal intime qu’il s’est inoculé avec la variole des vaches, ce qui devait protéger contre la variole humaine (petite vérole), et, le 23 mars, il ajoute que le vaccin n’a pas réussi. Le 15 janvier 1855, il rapporte que le docteur George O. Somers lui administre un vaccin, mais il ne mentionne pas à quelle fin. Il s’agit très probablement des premières vaccinations dans la région contre la variole humaine avec le vaccin d’Edward Jenner, inventé en Angleterre en 1797. Le 20 janvier 1863, sa nièce, Lavinia Merry, l’avise qu’il y a de la variole dans le village et lui suggère d’annuler une visite de porte à porte qu’il se propose d’y faire. La variole était donc présente à l’Outlet dès les années 1820.

C’est à l’été 1875 que la variole, qui prend une forme épidémique, éclate avec le plus de force. Les autorités décident de rendre la vaccination obligatoire, mais de graves émeutes contre cette mesure éclatent dans les grandes villes du Québec. À l’occasion d’une sévère épidémie de variole en provenance de Chicago, et qui sévit à Montréal et ailleurs en province en 1885, un bureau d’hygiène municipal est mis sur pied à Magog, le 21 octobre. Par un règlement, la municipalité autorise le comité à se procurer, au meilleur coût possible, le vaccin antivariolique pour vacciner gratuitement les écoliers et les indigents. Un manque d’informations de la population par les autorités sanitaires provoque de graves émeutes à l’échelle de la province, notamment à Montréal. Magog n’y échappe pas. Nous apprenons par les journaux intimes de Ralph Merry V que, le 28 septembre 1885, il se tient à Magog un grand rassemblement, surtout de Canadiens français qui s’opposent farouchement à la vaccination obligatoire («The streets are in the hands of the mob!»).

En 1888, on assiste à la création du Conseil d’hygiène de la province de Québec, qui tentera de convaincre une population récalcitrante à la vaccination dans le but de prévenir les maladies contagieuses, notamment la variole. Dans les années 1890, il y a résurgence des maladies infectieuses, telles que la variole, rougeole, diphtérie, scarlatine et fièvre typhoïde. En 1898, Magog fait face à des épidémies de variole et de diphtérie. Nous n’avons pas de statistiques disponibles pour Magog, mais à Sherbrooke l’on recense 78 cas de diphtérie.

En 1902, une autre épidémie de variole sévit et on commence à vacciner la population. Le 5 mars 1902, par le règlement # 79, la Ville de Magog rend la vaccination obligatoire et des pénalités sévères sont imposées à ceux qui ne s’y conforment pas. Tout individu présent sur le territoire de la municipalité doit être vacciné, à moins qu’il ne produise un certificat de vaccination ou qu’il fasse la preuve qu’il a déjà eu la maladie. La pénalité est de 5 $ au moment de l’arrestation et de 1 $ par jour où il omettrait de se faire vacciner. Des pénalités sont prévues pour les médecins qui produiraient de faux certificats. Malgré les premières tentatives pour améliorer la santé publique, les maladies contagieuses continuent de sévir. Juste avant la guerre, la diphtérie, la variole et la typhoïde font des ravages. En 1910, on doit fermer les écoles à cause d’une épidémie de variole. En 1911, une épidémie de diphtérie particulièrement maligne sévit et on commence à vacciner les pauvres gratuitement. À Magog, le collège et le couvent doivent fermer leurs portes. Cette épidémie est suivie d’une autre de variole en 1915, alors qu’en 1918 la grippe dite espagnole frappera le monde entier. Magog n’y échappera pas.

Photo chronique vaccination : Caricature illustrant la résistance de la population à la vaccination. Le policier amène un récalcitrant ligoté chez le médecin qui lui administre le vaccin antivariolique. Photo Collection Denis Goulet

En 1918,  la grippe espagnole (influenza à H1N1), première grande pandémie du XXe siècle se propage à l’échelle mondiale. Les premiers cas apparaissent au mois de mars aux États-Unis, dans un camp militaire du Kansas. En avril, des soldats américains l’importent en Europe sur les champs de bataille, mais l’information est bloquée par la censure militaire. En juin, les premiers cas sont rapportés par la presse espagnole sur son territoire, d’où son nom erroné de grippe espagnole. Elle frappe Magog de plein fouet au mois d’octobre 1918. Le 3 octobre, le Dr E.-C. Cabana, officier sanitaire pour la Ville de Magog depuis 1912, présente au conseil un projet d’avis à afficher, indiquant à la population les moyens à prendre pour éviter le fléau, soit le lavage des mains, l’isolement des malades, les quarantaines, le placardage des maisons atteintes, etc. Les autorités gouvernementales décrètent la fermeture des lieux publics : bars, théâtres, salons de quilles, écoles, églises, etc., et interdisent les rassemblements.  Les autorités religieuses catholiques du diocèse tardent à obtempérer à ces directives, et, des 45 décès survenus à Magog pendant le seul mois d’octobre, 43 sont des catholiques.

En août 1919, la province est aux encore aux prises avec une épidémie de variole. Le Conseil supérieur d’hygiène de la province de Québec oblige tous les écoliers à se faire vacciner avant la rentrée des classes. Aucun élève non vacciné ne sera admis à l’école. La même année, une épidémie de diphtérie sévit et la Ville engage un inspecteur des viandes et du lait, une insulte pour le docteur Cabana qui démissionne de son poste. En avril 1926, on lui offre le poste de médecin hygiéniste qu’il accepte. Suite à ses interventions et à la création des Unités sanitaires en 1926, la situation s’améliore graduellement et, en 1940-41, la Ville fournit gratuitement le vaccin contre la diphtérie à plus de 2 000 enfants. L’Unité sanitaire de Magog ouvrira en 1947.

Dans les années 1940, la prévalence des maladies infectieuses est encore telle à Magog, qu’en 1944, le docteur Cabana préconise la construction d’un « hôpital civique » (dédié aux maladies infectieuses), à Magog. Sherbrooke a déjà le sien depuis 1888. L’isolation des malades atteints demeure le moyen le plus efficace, sinon le seul, pour enrayer la propagation des maladies contagieuses. La quarantaine est difficile à faire observer ainsi que le placardage des maisons où habitent des contagieux. Le projet n’aura pas de suite.

En mars 1957-1959, la province fait face à une épidémie de grippe asiatique (à H2N2), la première pandémie grippale depuis la grippe espagnole. Partie de la Chine, elle arrive au Québec en septembre 1957, à bord du paquebot «Ivernia», parti du Havre en France et ayant accosté à Québec. L’épidémie se répand rapidement surtout chez les enfants. Magog n’est pas épargnée. Certains lieux publics sont fermés, l’isolement des malades est recommandé, ainsi que le port du masque, mais il n’y a pas de confinement des populations comme aujourd’hui. Le 24 septembre, la grippe force toutes les écoles de la Commission scolaire de Sherbrooke à fermer leurs portes. Fin septembre, sur la recommandation du docteur Almanzor Roy de l’Unité sanitaire, les collèges et les couvents sont fermés à Magog et à Omerville, impliquant quelque 3 000 élèves. Sherbrooke et Stanstead subissent le même sort. Bien que fortement contagieuse, la grippe asiatique atteint beaucoup de personnes, mais a heureusement un faible taux de mortalité au Québec.

En 1968-1969, survient la « grippe de Hong Kong » (de type H3N2). Au Québec, elle se répand au mois de janvier et de nombreuses écoles suspendent leurs cours, mais le taux de mortalité reste faible.

Au début des années 1980, apparaît la deuxième grande pandémie du XXe siècle, le sida. Elle aussi prend tout le monde au dépourvu avec cette curieuse infection, alors peu connue chez l’humain. Ses modes de transmission sont limités : contacts sexuels, transfusions sanguines, accidents sanguins chez les intervenants de la santé. Sa répartition mondiale est inégale pour des raisons socio-économiques et culturelles. Le Québec est affecté à partir de 1983. En 2018, il est estimé que plus de 30 millions de personnes en sont décédées à travers le monde.

D’autres pandémies grippales apparaîtront par la suite: SRAS en 2002-2003 et la H1N1 en 2009-2010. Cependant, les taux de décès parmi les personnes atteintes sont faibles, contrairement à la grippe espagnole et à la pandémie actuelle de la COVID-19.

 

Maurice Langlois

Serge Gaudreau