De la «bobbin Shop» à aujourd’hui : un bâtiment et plusieurs vocations

En 1916, les élus municipaux autorisaient un prêt de 22 000 $ à une compagnie de meubles mise sur pied localement, la Magog Furniture Manufacturers Co. Celle-ci n’est jamais entrée en opération. Ce prêt avait été considéré comme non autorisé et illégal de la part des membres du conseil qui auraient pu être forcés de le rembourser eux-mêmes. La Ville doit racheter la compagnie et payer ses dettes. Cette situation a, avec d’autres facteurs, entraîné la démission du maire Alfred L’Archevêque en 1918.

C’est la Dominion Textile (DT) qui viendra, pour ainsi dire, à la rescousse de la Ville. Cette compagnie qui achète en Angleterre les bobines, navettes, fuseaux et autres pièces de bois nécessaires à l’industrie du textile, s’en voit privée à cause de la guerre qui fait rage en Europe. Elle met sur pied l’Industrial Specialty Manufacturing Co. qui achète les bâtiments déjà construits et inutilisés. Ceux-ci sont situés à une centaine de mètres du lac, près de la voie ferrée et de la route de Montréal (Rte 112).

La DT fait venir de Lachute des employés spécialisés dans la fabrication de ces pièces, dont la famille de Joseph Carrière et ses enfants : Wilfrid, Arthur, Russell, et plus tard leurs petits-enfants, qui font carrière à la «bobbin shop». Celle-ci emploie quelques centaines d’employés, dont 250 en 1924. On pouvait lire dans La Presse du 21 avril 1925 : «Magog a l’honneur de posséder la plus importante et la plus moderne fabrique de bobines et fuseaux au Canada». John Peters en a été le premier gérant général, poste qu’il occupera jusqu’à son décès en 1953.

Cependant, dès la fin des années 1950, la compagnie doit diversifier ses produits en manufacturant des pièces de bois variées : tables à café, pattes de tables, parties en bois pour lampes, manches à balais et à vadrouilles, rouleaux à pâte sur billes, poignées en bois pour ustensiles et accessoires électriques, boutons de bois pour vêtements de sport et paletots (Duffle Coats), etc. Au début des années 1960, on s’aventure dans la production de traînes sauvages (toboggans). Mais cette diversification n’assure pas la survie de cette industrie.

En novembre 1966, l’Industrial Specialty revêt un nouveau caractère administratif. Elle est vendue par la DT à une compagnie privée, la Donald J. Murray Associated Ltd de Newcastle en Ontario. Tout en continuant la fabrication de bobines, le nouveau propriétaire envisage une fabrique de meubles. La compagnie emploie encore une centaine de personnes et espère augmenter ce nombre à 300. Cependant, la baisse d’utilisation des pièces de bois dans l’industrie du textile entraînera la cessation des opérations et la faillite de l’Industrial Specialty en 1968.

En 1969, la propriété est vendue à Panier Polgary de Montréal qui opérera sous la raison sociale Panier céramique Ltée. En 1979, le promoteur Ripca Inc. envisage un deuxième centre commercial sur ce site. Le projet inclut un vaste marché public ouvert tous les jours, des salles de réception, un luxueux restaurant, un café-terrasse, des boutiques, etc. Ce projet ne verra pas le jour, mais le bâtiment perd définitivement sa vocation industrielle pour devenir un centre commercial.

En 1989, un autre promoteur de Montréal propose un complexe hôtelier de 35 M $, greffé sur un centre commercial. Les résidents du voisinage s’objectent à un tel projet qui ne verra pas le jour. En 1994, le Liquor Store, où Luc Plamondon a découvert le chanteur Garou, s’y installera pour ensuite se relocaliser sur la rue Principale au début des années 2000.  Plus tard, un chic restaurant, le Cavallini y tentera sa chance.

Au cours des années, de nombreux commerces s’y sont installés, dont une poissonnerie, salons de coiffure, ostéopathe, physiothérapeute, centre de conditionnement physique, firme comptable, le Reflet du Lac, etc. Le bâtiment subit actuellement une transformation majeure et sa vocation demeure pour le moment inconnue. Ce bâtiment plus que centenaire trouvera-t-il enfin une affectation plus durable?

 

Maurice Langlois et Serge Gaudreau