Les groupes d’aide internationale craignent des coupes au prochain budget fédéral

OTTAWA — Le secteur canadien en coopération internationale attend nerveusement le budget fédéral ce printemps, craignant des réductions de financement qui pourraient nécessiter l’arrêt de projets à l’étranger.

«Ce manque de prévisibilité crée de l’anxiété dans le secteur», soutient Louis Bélanger, dont le groupe Au-delà de nos frontières défend les intérêts des principaux organismes de bienfaisance canadiens.

«L’avenir est incertain pour beaucoup d’organisations qui travaillent dans les pays en développement, car il y a un manque de clarté et un manque de transparence.»

Les groupes d’aide espèrent que le ministre du Développement international, Harjit Sajjan, annoncera une augmentation du financement du Canada lors d’un discours prononcé vendredi devant le Conseil des relations internationales de Montréal.

Depuis leur arrivée au pouvoir en 2015, les libéraux se sont engagés à continuer d’augmenter les dépenses de développement chaque année, mais les crises émergentes telles que la pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine ont considérablement modifié l’orientation de ces dépenses.

Avant la pandémie, les libéraux avaient prévu une aide étrangère annuelle de 6,6 milliards de dollars. Après l’arrivée de la COVID-19, ils ont porté l’objectif à plus de 8 milliards de dollars, d’abord pour les programmes liés à la lutte contre le virus, puis pour aider l’Ukraine et ses voisins.

À la fin de 2021, le premier ministre Justin Trudeau ordonnait toujours au ministre Sajjan d’«augmenter chaque année l’aide au développement international du Canada».

Et depuis, M. Trudeau a annoncé d’importantes allocations de financement liées à un sommet de l’ONU sur la biodiversité, une nouvelle stratégie indopacifique et au Fonds mondial, qui s’attaque à des maladies telles que le sida.

Pourtant, il n’est pas clair si les libéraux ont l’intention de renouveler les programmes de développement de longue date ou de les laisser expirer afin de financer ces priorités émergentes.

Pour M. Bélanger, cela se résume à savoir si les libéraux s’appuient sur la référence de financement qui a précédé la pandémie, ou s’ils considèrent le montant actuel du financement comme une nouvelle base de référence.

«(Ils) voient la COVID comme une exception, et que nous devons revenir aux niveaux de 2019. Nous sommes complètement en désaccord, car il y a une série de crises que nous voyons dans le monde en ce moment», affirme-t-il.

«Vous ne pouvez pas me dire que les besoins ont diminué depuis la COVID», ajoute-t-il.

Les groupes d’aide craignent que le Canada suive la Grande-Bretagne en annonçant des coupes. Londres est depuis longtemps l’un des principaux bailleurs de fonds du développement international au monde, mais elle est confrontée à des bouleversements économiques dans son pays.

Pendant ce temps, l’accent mondial mis sur la lutte contre la COVID-19 s’est fait au détriment d’autres programmes de santé, entraînant un retour en arrière soudain sur deux décennies de progrès dans la lutte contre la tuberculose, le choléra et l’extrême pauvreté.

Et la Banque africaine de développement et d’autres institutions continentales ont déploré que les pays riches détournent l’aide vers l’Ukraine.

«La COVID a laissé les pays du Sud dans un état critique, et donc couper l’aide maintenant, c’est comme leur couper l’approvisionnement en oxygène», expose M. Belanger.

«Ce serait le pire moment pour couper l’aide étrangère. Ce serait le pire moment pour revenir en arrière, alors qu’il y a tant de besoins.»

«Une longue liste»

Selon lui, les fonctionnaires des ministères fédéraux semblent plus intéressés par les projets de développement liés à trois priorités: les changements climatiques, la santé sexuelle et reproductive et le travail de soins rémunéré et non rémunéré.

«D’autres programmes ⁠ – sur la gouvernance, la nutrition, la justice sociale, même les programmes humanitaires — ont été en quelque sorte suspendus jusqu’à l’annonce du budget», affirme M. Bélanger, qui est un ancien membre du personnel libéral.

Il dit que des projets de plusieurs années arrivent à expiration sans savoir si Ottawa les renouvellera. Mais les organisations ne parlent pas ouvertement de peur de perdre le financement fédéral.

Le secteur de l’aide internationale soutient que les pays en développement ont besoin de systèmes de santé, d’agriculture et d’éducation solides pour résister à l’instabilité politique et aux catastrophes naturelles, sans parler des futures pandémies.

Save The Children Canada mentionne que le gouvernement avait eu raison de répondre aux crises humanitaires émergentes, comme le tremblement de terre de cette semaine en Turquie et en Syrie.

Mais le président et chef de la direction de l’organisme de bienfaisance, Danny Glenwright, a soutenu que les enfants avaient également besoin de l’aide du Canada dans des endroits où sévissent des conflits de longue date, comme la République centrafricaine, la Somalie, le Yémen et le Myanmar.

«Malheureusement, c’est une très longue liste. Nous avons plusieurs cas où les besoins augmentent au fur et à mesure que la crise dure, a-t-il déclaré.

«Ce sont des pays qui font rarement la une des journaux, car de nouvelles crises ont surgi.»

Mobiliser le public

Son organisation demande à Ottawa de fixer ses dépenses annuelles de développement à 10 milliards de dollars d’ici 2025, par le biais d’augmentations d’une année à l’autre. Il a déclaré que cela aiderait le Canada à respecter ses engagements envers les objectifs de développement durable de l’ONU, qui visent à rendre le monde plus résistant aux crises d’ici 2030.

Dans un discours prononcé mercredi soir lors d’une réception organisée par des groupes pour marquer la Semaine du développement international, le ministre Sajjan n’a donné aucune indication sur ce que le budget de printemps de son gouvernement apportera.

Il a plutôt invité les groupes d’aide à mobiliser le soutien du public en faisant un meilleur travail pour faire connaître leurs progrès.

«Nous devons être plus forts lorsque les choses vont bien, et dire: ‘‘C’est la prévention des conflits. C’est le succès.’’ Et nous devrions célébrer cela encore plus», a-t-il déclaré aux groupes assemblés.

«Les politiques sont une chose, l’argent en est autre. Mais l’action ne peut se faire qu’à travers vous.»

Jeudi, M. Sajjan a affecté 23,4 millions de dollars à des programmes de mobilisation du public pour faire passer ce message.

Lors d’un discours à Montréal vendredi, M. Sajjan a déclaré que son gouvernement se concentrait sur des projets qui peuvent aider à renforcer la résilience dans les pays en développement. 

«Les catastrophes naturelles vont se poursuivre. Nous devons réagir davantage. Nous devons investir davantage dans la prévention, car cela permettra d’économiser beaucoup plus d’argent à long terme», a-t-il déclaré au Conseil des relations étrangères de Montréal. 

M. Sajjan a ajouté que le Canada essaie de travailler avec les pays en développement pour coordonner des projets, afin d’éviter des situations telles que des personnes affamées dans un pays alors que la nourriture est facilement disponible dans un État voisin.