La Commission Rouleau se penche sur les droits et libertés des uns et des autres

OTTAWA — Pendant six semaines, des résidents d’Ottawa, des policiers, des politiciens et des manifestants ont défilé devant la Commission sur l’état d’urgence pour livrer leur version de ce qui s’est passé l’hiver dernier, lorsque des milliers de personnes opposées aux mesures sanitaires liées à la COVID-19 ont envahi une partie du centre-ville de la capitale fédérale.

Cette semaine, la commission, qui doit déterminer si le gouvernement fédéral était justifié d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre fin aux manifestations, doit s’attaquer à des questions centrales: où doit-on tracer la ligne sur les limites de la liberté de réunion pacifique? Et que doivent faire les gouvernements et les tribunaux lorsque cette liberté entre en conflit avec les droits d’autrui?

La commission a lancé la phase politique de son enquête lundi avec une table ronde réunissant des experts juridiques qui étudient la Charte des droits et libertés.

Le commissaire Paul Rouleau a expliqué que la question de savoir comment définir si une manifestation est pacifique est un «élément essentiel» du travail de l’enquête.

Jamie Cameron, professeure à la faculté de droit Osgoode Hall de l’Université York, a ainsi affirmé lundi matin qu’il y avait eu très peu de débats sur le droit de «réunion pacifique» à la Cour suprême, ce qui laisse un peu floues les «limites raisonnables» de cette liberté «dans une société libre et démocratique», comme le prévoit la Charte.

Selon la professeure Cameron, certaines personnes soutiennent que la ligne ne devrait être tracée que si une manifestation devient violente, mais d’autres estiment qu’une manifestation peut devenir suffisamment perturbatrice pour ne plus être pacifique.

La question clé, selon Mme Cameron, est: «Qu’est-ce que cela signifie de dire qu’un rassemblement est de nature pacifique?»

Le premier ministre Justin Trudeau a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence le 14 février après que des milliers de manifestants associés au «convoi de la liberté» ont bloqué le centre-ville d’Ottawa et certains passages frontaliers, dont celui, très achalandé, qui relie Windsor et Detroit.

«Il existe un large consensus qui souligne l’importance du droit de manifester dans une société démocratique», a rappelé Vanessa MacDonnell, professeure agrégée à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa et codirectrice du Centre de droit public de l’Université d’Ottawa.

«Le véritable défi pour les autorités est de trouver l’équilibre entre les droits et intérêts qui sont en jeu dans le contexte d’une manifestation publique. Pour moi, c’est là que se situe le travail difficile.»

La discussion de lundi était la première de plusieurs qui constitueront la phase politique de l’enquête, qui sera ensuite utilisée pour rédiger des recommandations sur la façon de moderniser la Loi sur les mesures d’urgence.

La phase politique fait suite à six semaines d’audiences publiques, qui ont culminé avec le témoignage de M. Trudeau, vendredi.

Les dispositions de la Loi sur les mesures d’urgence ont accordé des pouvoirs extraordinaires, mais limités dans le temps, au gouvernement, à la police et aux banques, y compris la capacité d’interdire à certaines personnes de participer à des rassemblements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’ils troublent la paix, ou de voyager dans un secteur où une telle manifestation a lieu.

Cela a permis à la police de créer une zone interdite au centre-ville d’Ottawa et a érigé en infraction criminelle le fait de se trouver dans ces zones sans raison valable.

La réglementation était peut-être trop large, ont convenu plusieurs experts du panel, mais le contexte est aussi important, a nuancé la professeure de droit à l’Université d’Ottawa Carissima Mathen.

«À première vue, cela semble trop large», a reconnu Mme Mathen, mais elle a ajouté qu’il y avait des limites de temps sur les pouvoirs et qu’il y avait une liste d’exemptions à l’interdiction de voyager dans certaines régions.

Parmi les autres sujets qui seront abordés cette semaine, notons la cryptomonnaie, les chaînes d’approvisionnement internationales et le droit pénal. Les discussions sont largement motivées par des documents d’orientation que l’enquête a commandés plus tôt cette année.