Remise en question

Je suis devant mon écran, je regarde ma page blanche et je me demande de quoi nous allons nous jaser. Présentement, je suis dans un état de remise en question de ma vie. En vieillissant, il me semble qu’il y a pas beaucoup de personnes qui se remettent en question; pourquoi? On ne fait pas cela en fin de vie, me direz-vous. Mais pourquoi? Moi, j’ai besoin de savoir comment je vais me rendre à mes 80 ans. Je n’ai pas le goût de lâcher.

Y a-t-il quelqu’un qui a déjà vu un jeune de 80 ans? Non pas souvent, eh bien vous allez en voir un autre. En autant bien sûr que j’aie la santé, mentale, physique et financière. Je ne suis pas pire qu’un jeune. Qu’on soit jeune ou moins jeune, si tu n’as pas la santé, oublie le reste.

Il y quelques semaines, je me suis rendu sur l’île d’Orléans où j’ai visité un vieux chum, soit l’un de nos meilleurs auteurs et interprètes que le Québec a connus, Jacques Michel (Amène toi chez nous, Un nouveau jour va se lever et bien d’autres chansons). Nous nous sommes connus en 1963 à Richmond où il commençait sa carrière de chanteur et moi ma carrière de «Shoe Shine Boy».

À19 ans, j’avais une boutique dans laquelle sur quatre chaises spéciales, les gens venaient s’assoir pour jaser et se faire cirer leurs souliers. Les artistes se produisaient au Cabaret Richmond situé à côté de mon «Shoe Shine» et les après-midis, ils venaient passer leur temps dans ma boutique, tels que Jacques Michel. Il a été le plus grand à se produire au Cabaret de Richmond et au Québec tout entier. Pour celles et ceux qui ne l’ont pas connu, il est de la trempe des Vigneault, Ferland, Léveillé, Charlebois.

Celui qui avait construit mes quatre chaises spéciales pour cirer les souliers, et cela gratuitement pour m’aider à partir en affaires est un homme qui vit encore, que je respecte et que j’aime beaucoup, Henri Louis Bureau, 87 ans.

Pourquoi, je reviens dans le passé quand je me remets en question? C’est très simple; c’est que nous sommes le résultat de notre passé. Nous sommes tous aujourd’hui la somme de nos actes, de nos décisions passées.

Je reviens à ma rencontre avec Jacques Michel. À un moment donné, Jacques me dit qu’il aimait beaucoup ce que faisait, ce que chantait Vincent Vallières. Il n’en fallait pas plus que je tombe dans ma bulle de rêveur. Pourquoi pas un spectacle de retour de Jacques Michel avec Vincent Vallières au Vieux Clocher? Jacques chanterait «On s’aime encore» et Vincent chanterait «Amène toi chez nous». C’est drôle comment la vie réagit à nos rêves. Un spectacle construit avec deux antipodes de générations. De ce spectacle sortirait possiblement un amour des générations. Un jeune avec un moins jeune. Ou plutôt deux amoureux de la vie. Pas besoin d’avoir 40 ans pour être amoureux.

Pourquoi je vous parle de cela, c’est que pour devenir un jeune de 80 ans, ça me prend des projets. Je vous parlerai un jour d’un autre projet, à savoir un spectacle grandiose sur la montagne du Mont Orford. Les gens assis dans la pente de ski et les artistes sur une scène au bas de la pente. Ce sera peut-être pour la décennie de mes 90 ans.

Dans ma remise en question, je m’interroge aussi sur l’avenir de mes relations avec l’autre sexe. Mon corps change, il est moins jeune; et puis après, ça change quoi? Quand on s’embrasse, on se ferme toujours les yeux, non?

Ma sensualité est toujours là; je peux rêver, je peux m’émouvoir, je reconnais encore la beauté, j’ai de l’expérience, ma capacité d’aimer et d’être aimé est toujours en moi. Je reconnais qu’il y a certaines choses qui prennent plus longtemps, mais quand on aime faire cette chose, le plaisir est encore plus grand. Voilà une chose que les jeunes ignorent.

Je ne suis plus capable de dire ou d’écrire le mot vieux…, tiens, maudit, je viens de l’écrire; pas le choix si vous voulez comprendre ce que j’écris. Si quelqu’un pouvait inventer ou trouver un synonyme à ce mot. Tiens, j’en ai un, dans les tribus on les appelle un sage, avec un grand S.

Voilà, au lieu de dire un vieux de 80 ans on dira un sage de 80 ans. Les jeunes s’éloignent des vieux, ils les «parkent» dans des foyers. Peut-être qu’ils se rapprocheraient plus des sages et nous oublieraient moins.

Dans ma remise en question, j ai réalisé qu’on dit souvent des bêtises, sans penser réellement à ce qu’on dit. Réfléchissons : «les contraires s’attirent» ou «une bonne chicane ça fait du bien, c’est meilleur après». Ce sont les plus belles arnaques de notre époque. Pensez-y sérieusement. Est-ce que vous pourriez vivre toute votre vie avec quelqu’un qui n’aime pas ce que vous aimez ou qui a besoin d’une chicane pour vous faire l’amour à plein?

 

 

Me Laurent Pelletier

Avocat à la retraite

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