Les gens démunis ne sont pas tous dans la rue

Ce matin du 11 février 2015, assis devant mon écran, je me demande ce que je vais vous dire, de quoi nous allons jaser ensemble. Les gens sont moroses; les gens ont peur de l’avenir; on a beau dire que l’argent ne fait pas le bonheur, mais maudit que ça rend le malheur plus confortable. Le ministre de la Santé nous annonce la coupure de plus d’une centaine d’agences de la santé, de grandes chaînes de magasins ferment, nos grandes industries ferment, il y a quasiment plus de création d’emplois.

Devant toutes ces fermetures, qui s’occupent des gens qui perdent leur emploi, des gens qui tombent dans la misère? Des gens responsables et fiers se retrouvent tout d’un coup à devoir aller à la Banque alimentaire, au Comptoir familial. Nos journalistes nous parlent de l’industrie qui ferme, mais rarement vont-ils voir les victimes de cette fermeture. Peut-être que connaître cette misère pourrait affecter moralement nos politiciens, nos fonctionnaires qui vivent dans la sécurité qu’offre leur travail.

Je n’aime pas dire ou écrire le mot pauvre, mais il décrit encore toujours cet état de gens démunis. Nous sommes en train de créer une nouvelle classe de pauvreté. Il y a des «nouveaux pauvres» aujourd’hui qui vivent dans leur maison. Lors de la fermeture de l’Imprimerie Quebecor World (ex-Imprimerie Montréal-Magog), il y avait des couples qui y travaillaient à des salaires d’environ 25 $ l’heure. Ils étaient propriétaires de leur maison. Le couple perd son emploi, les deux se retrouvent sans emploi avec une maison. Aujourd’hui, les gens démunis ne sont pas tous dans la rue.

Cette semaine, Joe Saputo, le propriétaire de l’Impact, avait raison de déplorer le fait, qu’à date, seulement 15 000 billets avaient été vendus pour une partie extraordinaire de soccer le 3 mars au Stade olympique. Les attentes sont de plus ou moins 50 000 billets, ce qui a déjà été atteints, il y a quelques années. Suite à cette déclaration, les journalistes, les experts, ont analysé le peu d intérêt qu’avaient les gens pour assister à cette joute de soccer.

Dans les analyses de nos experts et journalistes, j’ai entendu ou j’ai lu ces réflexions : «L’Impact est arrivé dernier l’an passé et les gens aiment les gagnants à Montréal». Partout les gens aiment les gagnants. «Il n’y a plus de grandes vedettes dans l’Impact». Toutes les analyses ou réflexions étaient dans cette lignée de pensée.

À ma grande surprise, personne n’a soulevé l’hypothèse que c’était peut-être parce que les gens ont moins d’argent. Personnellement, pour pouvoir manger, m’habiller ou me loger, je vais couper sur le soccer. Monsieur Saputo, c’est possiblement ce qui se passe au Québec; ce n’est réellement pas de votre faute s’il y a moins de gens à cette partie de soccer. Les gens ont effectivement moins d’argent avec des dépenses qui augmentent.

Selon Wikipédia, les «nouveaux pauvres» est une expression qui désigne une catégorie de personnes fragilisées à la suite des mutations économiques, technologiques et sociales s’opérant dans la société. Les «nouveaux pauvres» ont des caractéristiques sociales différentes de la pauvreté traditionnelle, qui se caractérise par une grande désocialisation.

Les phénomènes engendrant cette «nouvelle pauvreté» sont multiples, mais je retiens celui-ci : «L’impermanence de l’emploi. Disparition de l’emploi à vie, multiplication de l’emploi précaire. Ce travail est de plus mal indemnisé par l’assurance chômage, entraînant des difficultés économiques accrues lors de la perte de ce type d’emploi. Tous les phénomènes ont en commun le manque de stabilité offert à l’individu dans la société actuelle, du notamment aux mutations du monde du travail.»

La nouvelle pauvreté a aussi atteint la classe des gens âgés; ils se retrouvent de plus en en plus dans le CHSLD ou résidence pour personnes âgées sans argent pour combler leurs besoins. Ce sont des personnes fières pour avoir élevé leur famille laquelle n’a rien manqué. Ces personnes étaient en grande majorité des travailleurs autonomes ou des commerçants ou des détaillants n’étant financièrement pas capable de se ramasser un fonds de pension. Ils ont tout donné à leurs enfants.

Beaucoup m’ont dit que même leurs enfants ne connaissaient pas leur précarité présente. Je soupçonne que le prochain scandale humain sera celui de la précarité financière de nos ainés. Nous risquons d’avoir honte.

En République dominicaine, pays considéré comme pauvre, les Dominicains ne «parkent» pas leurs aînés dans des résidences, ils s’en occupent. Je ne critique pas les gens qui travaillent dans les CHSLD ou résidences pour personnes âgées, je critique plutôt le gouvernement qui refuse d’aider les aidants naturels, lesquels décident de s’occuper de leurs parents.

En vieillissant, je me dis quelques fois, que j’aurais dû être un fonctionnaire municipal, ceci dit avec mon sens de l’humour.

 

Me Laurent Pelletier, avocat à la retraite

laurent@laupel.com