«Le lac Memphrémagog appelé à disparaître?»

Tel est le titre d’un article publié en première page du Progrès de Magog du 4 mars 1964. En juillet, un autre article sonne l’alarme: «Magog serait en difficulté si Sherbrooke persiste à vouloir prendre son eau dans le lac Memphrémagog».

Cette année-là, Sherbrooke, qui puise son eau potable dans la rivière Magog, fait face à un sérieux problème d’approvisionnement en eau potable. Le ministère de la Santé vient de déclarer cette eau impropre à la consommation et recommande l’installation de la prise d’eau dans le lac Memphrémagog.

Le maire de Magog, Ernest Simard, s’y oppose farouchement. Il fait valoir qu’il y a risque de fermeture fréquente du barrage de Magog, donc de l’usine dont dépend l’économie locale. Il clame qu’il s’agit d’une injustice flagrante pour les citoyens de Magog et les riverains, alors qu’il n’y aurait pas de problème à Sherbrooke où la vie continuerait «business as usual».

Entente internationale

Le maire Simard brandit une entente internationale de 1909. Signée entre le Canada et les États-Unis, cette entente a comme objectif d’assurer des niveaux d’eau acceptables tout au cours de l’année. Le niveau maximal des eaux ne doit pas dépasser 682,70 pieds au-dessus du niveau de la mer, et le niveau minimal ne doit pas baisser sous 678,98 pieds. Donc, une variation maximale de 3,72 pieds. L’article 8 de ce traité stipule que l’usage de l’eau à des fins domestiques et sanitaires a priorité sur tous les autres usages. Cette entente a été renouvelée en 1934.

Une firme d’ingénieurs-conseils est appelée pour étudier le projet. Ces experts concluent qu’il faudrait 400 jours consécutifs sans pluie pour que le niveau baisse d’un pied, ne tenant pas compte de la fonte des neiges au printemps. Cette firme se fait rassurante et affirme qu’il y a une possibilité de baisse maximale de 6 pouces, si Sherbrooke puise la quantité requise de 15 000 000 de gallons par jour (63 000 m3 ) ce qui ne représente que 2% du débit actuel moyen de la rivière.

En septembre 1964, la Dominion Textile annonce qu’un accord a été signé avec la Cité de Sherbrooke. Elle estime qu’elle n’aura pas à modifier ses pratiques de production suite à cette entente, car au cours des trente dernières années (1934-1964) le niveau du lac n’a jamais atteint une baisse d’un pied.

Fin septembre, le Ministère des Richesses naturelles, en sa qualité de propriétaire (au nom de l’État) du lit du lac Memphrémagog, accorde à la Cité de Sherbrooke le droit de poser une prise d’eau pour son aqueduc municipal.

Le maire Simard qui est en campagne électorale continue de s’opposer, mais il sera défait aux élections du 4 novembre 1964. À l’occasion de ce débat, la Ville de Magog, qui s’alimente à la même source, réalise qu’elle-même n’a jamais demandé de permis pour puiser son eau du lac Memphrémagog, ce qu’elle fera dans les semaines qui suivent.

Dès l’année suivante, la conduite est complétée et Sherbrooke puise son eau potable du lac Memphrémagog. La réalisation de ce projet audacieux n’a jamais eu de conséquences néfastes sur la qualité des eaux ou des rives du lac. Sherbrooke est une des villes les plus performantes au Québec en gestion de consommation d’eau potable. En 1964, la population de 74 000 habitants, desservie par cet aqueduc, consommait 68 000 m3 d’eau potable (quantité autorisée 90 000 m3). Aujourd’hui, la population qui a plus que doublé (148 500) n’a consommé que 59 720 m3 en 2013.

 

Maurice Langlois

Société d’histoire de Magog