Îlot Tourigny : un long moratoire est nécessaire

Depuis mon retrait de la vie politique municipale, en 1994, je me suis imposé un devoir (parfois difficile) : ne pas jouer les belles-mères, comme on dit souvent, c’est-à-dire ne pas commenter publiquement les décisions des Conseils municipaux de cette ville que j’aime tant.

Aujourd’hui, pour la première fois, je me sens le devoir moral de le faire. Ce que la Ville de Magog s’apprête à faire à l’îlot Tourigny me paraît tellement peu respectueux des efforts passés pour aménager le grand secteur récréotouristique à l’entrée ouest de la ville que je ne peux me retenir de manifester haut et fort mon opposition. Il faut que la population se réveille!

Lorsque je suis devenu maire, en 1986, j’ai pris la relève d’un autre maire, imaginatif et énergique : Antonio Lacasse.

Celui-ci a été un artisan infatigable de ce qu’est devenue l’entrée ouest de Magog. Son action, pour ce secteur de la ville, s’est inscrite dans le prolongement du Comité d’aménagement de la rive nord du lac Memphrémagog. Cet organisme avait demandé au gouvernement québécois une subvention en 1978, subvention obtenue 10 ans plus tard, en 1988 à la suite de démarches inlassables de mon prédécesseur Antonio Lacasse. Cette subvention a permis d’étudier comment pourrait se faire le développement des abords du lac dans une vision touristique globale.

En 1985, un grand Sommet économique a permis d’identifier des cibles prioritaires d’intervention gouvernementale en tourisme et le maire Lacasse a fait des pieds et des mains pour aller chercher une part du gâteau pour notre ville. Pour le centre-ville, son action s’est traduite par la création de la SIDAC et la première revitalisation du vieux quartier commercial avec la subvention du programme Revi-Centre. Cette même année, Magog a pu pour la première fois de son histoire bénéficier d’un commissaire touristique entièrement payé par le gouvernement de Québec.

Une autre grande étape des changements en profondeur a été le déplacement de la route 112 entre avril 1987 et novembre 1989.

À partir d’octobre 1986, un long travail de rapiéçage du littoral du lac a commencé avec des aménagements à la pointe Merry, l’acquisition d’immeubles comme l’entrepôt de bière Pouliot, la marina Audet, les terrains pour l’aménagement du stationnement Du Moulin, la première restauration du Centre communautaire… Pour toutes ces dépenses, la part de la Ville n’a été que d’un peu plus de 10 %.

En septembre 1987, à la condition expresse qu’un comité intermunicipal d’urbanisme soit créé, un montant de 5 200 000 $ a été octroyé par le gouvernement du Québec pour l’aménagement du parc littoral récréotouristique. Le travail de ce comité a mené, en mars 1988, à l’élaboration d’un plan de zonage de la baie de Magog et, à l’automne de la même année, à l’aménagement du stationnement Du Moulin.

Ce retour dans l’histoire permet de comprendre que le travail amorcé depuis le milieu des années 1980 n’est pas encore terminé, qu’il s’est approché tranquillement vers le centre-ville et, notamment, vers l’îlot Tourigny.

Bien sûr, avant que les idées se placent, il y a eu des hésitations, il y a eu des tentations de répondre rapidement à des demandes de promoteurs qui voulaient occuper la place dégagée à coup de millions de $. Le projet Botella, vendu à la population avec tous les arguments habituels de création d’emplois et de retombées économiques de toutes sortes, a finalement été refusé à la fin des années 1980. Si cela n’avait pas été le cas, Magog aurait pu se retrouver avec des condos de luxe en hauteur sur la pointe Cabana, un hôtel de 11 étages au bord du lac et une bulle tropicale à la place des vastes stationnements actuels qui permettent aux gens d’accéder au bord de l’eau. Et le marais de la Rivière-aux-Cerises n’aurait probablement pas été protégé et aménagé comme il l’est maintenant. Le cachet de l’entrée ouest de Magog serait aujourd’hui tout autre, et pas pour le mieux.

Tous les efforts qui ont été déployés, même s’il y a eu certaines erreurs, visaient à amener les gens en douceur vers le centre-ville. Le projet d’aménagement de l’îlot Tourigny n’avait pas encore émergé, mais je suis convaincu qu’il serait apparu sous la forme d’un beau petit parc lumineux de verdure avec, tout au fond, sa belle maison – comme une invitation à déambuler dans les vieilles rues résidentielles du secteur. D’ailleurs, avec l’intuition de ce qui allait se produire, plusieurs propriétaires de maisons de ces rues ont procédé à des restaurations très intéressantes et à la création de gîtes touristiques si attirants et si variés dans leurs formes et leurs couleurs.

Ce qui me trouble dans l’orientation que la Ville de Magog est en train de prendre, c’est qu’on donne l’impression que tous les aménagements qui ont été faits l’ont été pour accueillir des centaines de travailleurs qui y circuleraient en automobile pour aller et revenir du travail. Cela n’a jamais été la perspective. Cela donne aussi l’impression qu’on ne fait pas la différence entre démolir un entrepôt ou un petit commerce qui n’a aucune valeur patrimoniale et démolir une maison centenaire de belle apparence en la remplaçant, sur un site majestueux, par un volumineux édifice moderne qui va complètement dénaturer la douce pente menant au centre-ville avec, comme un phare, le clocher de l’église Saint-Patrice.

Je ne peux pas imaginer comment, à long terme, les commerçants du centre-ville seront gagnants avec un tel projet et je ne peux pas comprendre pourquoi ces gens d’affaires ne se font pas davantage confiance avec ce qui a été amorcé grâce au programme Rues Principales dans lequel la Ville prévoit d’ailleurs investir autour de 8 millions de $ au cours des prochaines années. Un parc à l’îlot Tourigny ne serait pas un luxe, comme espace vert, en complément du maigre parc des Braves du centre-ville.

Pour toutes ces raisons, et beaucoup d’autres, je crois sincèrement que la Ville devrait reculer sur ce projet à l’îlot Tourigny et décréter un moratoire assez long pour réviser en profondeur, sans précipitation, avec une participation citoyenne articulée en plusieurs étapes, tout le plan d’urbanisme pour ce secteur.

D’autres solutions sont possibles à court terme pour les TIC.

Plutôt que se diviser, avec une fracture sociale qui laissera longtemps des traces et qui viendra se superposer à une autre fracture qui a existé de tout temps entre le Haut et le Bas de la ville, les Magogois doivent être appelés à se solidariser pour sauver la beauté du secteur ouest et redonner vie au secteur est où trône avec fierté la nouvelle bibliothèque dans l’ancienne église… mais où dorment encore les désolants vestiges des anciennes installations textiles.

 

Paul-René Gilbert

Ex-maire de Magog

1986-1994