1946: Magog gouttait au plaisir des congés payés

Dans le sillage de l’élection du gouvernement de Front populaire et la signature des accords de Matignon, en juin 1936, les salariés français obtiennent un privilège sans précédent : deux semaines de congés payés.

Au Canada, il n’existe à ce moment aucune mesure à cet effet. Il faut attendre la Deuxième Guerre avant que le plein emploi et la montée en force du syndicalisme ne créent un contexte propice à cette revendication. Jusque-là, les très rares congés, notamment pour des fêtes religieuses, ne prévoient pas de compensation monétaire.

À la suite de pressions, quelques jours de congés payés sont accordés aux travailleurs de la Dominion Textile à Magog en 1943 et 1944. Ce phénomène ne devient toutefois récurrent qu’après la Loi des relations ouvrières de 1944 permettant l’accréditation du Syndicat catholique des ouvriers du textile de Magog, la même année. La convention collective signée en 1945, peu après la fin de la guerre, rend officielle l’adoption d’une semaine de congés payés à partir de l’été suivant.

Même si l’achat d’une automobile n’est pas encore à la portée de tous, plusieurs familles profitent de cette occasion unique pour quitter la ville. Du 28 juillet au 1e août 1946, La Tribune qualifie Magog de « ville-fantôme ». Les employés de la DT et de sa filiale l’Industrial Specialty – la « bobbin shop » – fuient la région, laissant la rue Principale déserte un vendredi soir, ce que l’on n’aurait jamais vu ici selon les commerçants. L’exode est de courte durée. Dès le dimanche, la veille du retour au travail, Magog « redevenait » Magog.

On s’ajuste à la nouvelle réalité. En 1947, Gaston Théroux, directeur des sports à la DT, concocte une semaine d’activités pour ceux qui passent leurs vacances ici. Elle comprend régates, courses de natation, tournoi de balle-molle, programme d’amateurs, etc. Des années plus tard, le pique-nique de la DT deviendra un événement prisé attirant des centaines de Magogois à la pointe Merry.

Les congés payés sont là pour rester. Mieux que cela, ils s’étirent. En 1949, ceux qui ont cinq années d’ancienneté ont droit à deux semaines, alors que ceux qui en ont 25 peuvent obtenir trois semaines. Rapidement, les deux semaines de vacances estivales deviennent la norme minimale pour tous. Ce à quoi se greffent d’autres congés payés disséminés à travers l’année.

Cette période bouillonnante de l’après-guerre est d’ailleurs marquée par une série d’avancées pour les travailleurs. La semaine régulière de travail se stabilisera bientôt autour de 40 heures. Et les salaires, qui sont en moyenne de 68 cents l’heure à la DT en 1947, connaissent des hausses importantes et régulières.

Une tradition locale voit le jour. Tandis que les Québécois parlent de ces congés comme des « vacances de la construction », à Magog, étant donné l’importance de la DT qui emploie environ 2300 travailleurs, il est connu sous le nom de « vacances de la Textile » (prononcer textaille). Pendant 15 jours, les usines sont silencieuses.

Ces temps libres, conjugués à l’amélioration des routes et du pouvoir d’achat des salariés, contribuent à intensifier l’activité touristique. C’est vrai pour les Magogois qui quittent la ville, mais ça l’est aussi pour ceux qui viennent nous rendre visite. Au fil des ans, la région touristique Magog-Orford deviendra une destination pour les familles attirées par notre oin de pays.

Quant aux congés annuels payés, ils sont maintenant considérés comme acquis. À un point tel que, 70 ans après leur apparition dans la convention collective des employés de la DT, en 1945, nous nous demandons comment, il n’y a pas si longtemps, on pouvait vivre sans eux.

 

Serge Gaudreau