Sacrifier sa vie pour sauver celle des animaux de ferme
SANCTUAIRE. Se dévouer corps et âme pour la vie des autres, voilà en quelque sorte le quotidien de Catherine Gagnieux de Mansonville depuis plus de sept ans. Ce qui la différencie, toutefois, des aidants naturels habituels, c’est que ses bonnes actions s’adressent, non pas aux êtres humains, mais bien à des animaux de ferme, sauvés d’une mort certaine.
Catherine Gagnieux est derrière le Sanctuaire pour animaux de ferme de l’Estrie (SAFE), le seul endroit du genre officiellement enregistré au Québec. Aujourd’hui, elle compte plus de 70 animaux de toutes sortes qui ont débarqué chez elle au fil des années, pour différentes raisons.
«Les gens connaissent davantage les refuges pour animaux sauvages ou encore les refuges de chats et de chiens. Mais ici, c’est un sanctuaire, c’est-à-dire un lieu où les animaux viennent passer le reste de leurs jours, sans rien donner en retour. On leur offre un endroit paisible et propre pour qu’ils puissent vivre comme des êtres à part entière», explique Mme Gagnieux.
Un changement de vie radical
Si elle ne croit pas au hasard, Catherine Gagnieux n’aurait jamais douté, il y a quelques années, que sa vie l’amènerait sur une vaste terre, au milieu de nulle part, dans la région de Memphrémagog.
Pendant une trentaine d’années, elle opérait une garderie à Montréal et menait une vie, somme toute, normale jusqu’au jour où tout a chamboulé. «Mon fils est décédé dans un accident de moto en 2015. À partir de ce moment, plus rien n’avait de sens et c’est là que je suis tombée sur un livre, «The gentle Barn», écrit par une femme inspirante, partie de rien, et qui a maintenant trois des plus grands sanctuaires aux États-Unis.»
«Je me suis reconnue en elle et j’ai eu envie, à mon tour, de faire quelque chose pour sauver ces animaux qui sont considérés, dans notre société de consommation, comme des objets sans âme, sans personnalité ni émotion. J’ai donc tout vendu et quitté la métropole au profit de cette terre, et c’est là que le projet a pris naissance.»
Loin des trois petits cochons…
La nouvelle propriétaire est vite passée du rêve à la réalité lorsqu’elle a accueilli ses premiers résidents sur quatre pattes. Il s’agit de trois cochons qui s’étaient échappés d’un camion qui les amenait vers l’abattoir. Ils ont passé près d’un mois en cavale lorsqu’un refuge en Ontario les a récupérés.
Mais faute de place, des gens ont alors contacté la propriétaire du SAFE pour qu’elle vienne à leur rescousse. «Dans ma tête, c’était impossible de laisser ces cochons être renvoyés en usine, où ils seraient devenus de la viande, explique celle qui est végane depuis plusieurs années. Mais quand j’ai vu les trois gros cochons de 500 à 600 lb sortir du camion, j’ai compris dans quoi je m’étais embarquée. Ce sont des animaux loin d’être facile à gérer, que je devais pousser et prendre son mon aile, seule, en me fiant sur moi-même. Ça été beaucoup d’apprentissages sur le tas, d’essais et erreurs, car chaque animal a sa propre personnalité et ses besoins spécifiques», raconte-t-elle.
Depuis, la famille du SAFE s’est agrandie dans la diversité avec des chèvres, moutons, poules, vaches, coqs, poneys, taureaux et bien plus. Tous ces pensionnaires vivent en liberté et en harmonie, sous la présence rassurante de Catherine, évidemment.
Cette dernière peut aussi compter sur l’aide de quatre employés et l’engagement, à différents niveaux, d’une quarantaine de bénévoles.
Se dévouer dans la précarité
Reste que les responsabilités d’opérer un tel milieu de vie sont immenses sur les épaules de quelques volontaires. Pusiqu’au-delà de la gestion quotidienne des lieux, avec les soins de base, le ménage, les réparations et les imprévus, il y a tous les coûts reliés à ces dépenses.
Au SAFE, ceux-ci sont estimés à plus de 10 000 $ par mois, sans tenir compte des salaires. Des sommes importantes pour un organisme à but non lucratif, qui ne reçoit aucune aide gouvernementale. «Notre budget fonctionne à 100% par les dons. Chaque année, il faut mettre beaucoup de temps et d’énergie pour en trouver. L’an dernier, j’ai même dû lancer un SOS tellement la situation était critique. C’est difficile, car il faut raviver ce feu constamment et plus l’année avance, moins les réserves sont grandes. Parfois, c’est tellement stressant qu’on se réveille en pleine nuit en se demandant comment on va y arriver.»
La responsable en a même payé le prix de sa propre santé au cours des dernières années, à force de tenir le fort à bout de bras. «J’ai vécu divers problèmes qui étaient finalement reliés à l’anxiété. En octobre dernier, j’ai pris mes premières vacances en sept ans avec ma famille. Non seulement ça m’a fait du bien, mais j’ai aussi réalisé que je n’étais pas éternelle. Je suis à travailler sur une relève si un jour il m’arrivait quelque chose, car ces animaux doivent demeurer entre bonnes mains.»
La plus belle des récompenses
Même si les défis au quotidien sont immenses et que les sacrifices personnels sont nombreux pour opérer un tel projet, Catherine Gagnieux ne changerait sa place pour rien au monde. Elle se considère d’ailleurs privilégiée d’avoir osé faire le grand saut et d’être, aujourd’hui, entourée par des êtres visiblement heureux et sereins. «Les animaux sont affectueux et on ressent leur reconnaissance d’être en vie. À notre époque, les animaux de ferme sont plutôt perçus comme des biens à grande échelle, voués à terminer dans nos assiettes par des méthodes épouvantables, cachées par l’industrie. Mais quand on passe du temps en leur compagnie, on réalise qu’ils sont des êtres vivants d’une aussi grande valeur que nous. Et c’est ce que j’essaie de faire ressentir aux gens qui nous visitent, en espérant qu’ils repartent avec un regard différent ou simplement avec le coeur rempli d’affection.»
Notons que les visites offertes au public – uniquement sur réservation – sont arrêtées durant la saison hivernale. Elles reprendront au printemps jusqu’à l’automne. D’ici là, il est possible de soutenir l’organisme de différentes façons, que ce soit en parrainant un résident poilu, en achetant des repas pour les animaux ou encore en donnant quelques «précieuses» heures de bénévolat.
Pour obtenir plus d’information, il suffit de consulter le www.safe-refuge.org.
De bénévole à travailleur engagé
Parmi les autres responsables du SAFE, on retrouve Jacob Lapalme qui a d’abord rejoint l’équipe de façon périodique comme bénévole en 2017. Mais depuis la pandémie, son engagement a pris de plus en plus de place dans sa vie, si bien qu’il est maintenant payé pour y travailler sur une base régulière.
S’il touche pas mal à tout au sanctuaire, l’une de ses principales tâches est de s’occuper des taureaux, dont il est le seul à pouvoir approcher avec Catherine Gagnieux. «Des fois, on se demande pourquoi on fait ce travail. C’est toujours et toujours à recommencer et contrairement à une ferme d’élevage, les animaux ne rapportent aucun revenu, juste des dépenses», lance-t-il en riant.
«Mais quand tu prends 20 minutes avec un animal et que tu te colles avec lui, tu vois que ce sont des êtres à part entière. ll n’y a aucune différence entre moi, la chèvre ou mon chien. Je n’ai jamais aimé mon travail dans la vie, mais maintenant, c’est vraiment différent», partage le Sherbrookois.
Celui qui était végane, avant même de connaître le SAFE, se fait un devoir d’ailleurs de sensibiliser les visiteurs sur leurs habitudes de consommation, et ce, toujours dans le respect. «On essaie d’ouvrir leur esprit, car c’est un peu paradoxal de passer la journée à aider ou flatter des animaux pour ensuite rentrer chez soi et payer pour les faire tuer. Il n’y a aucun débat à avoir en 2023, à savoir qu’il n’est aucunement nécessaire de manger des produits animaliers pour être en parfaite santé. Et rendu là, ça devient un choix», conclut Jacob Lapalme.
Jacob Lapalme travaille à temps plein au SAFE depuis quelques mois, en compagnie de son fidèle compagnon Léo-Paul. (Photo Le Reflet du Lac – Pierre-Olivier Girard)