La «course au mariage» les 13 et 14 juillet 1940

Tant à l’usine que dans les commerces ou à la ferme, on travaille de longues heures dans le Magog des années 1930. Toutefois, on sait aussi s’amuser. C’est le cas, par exemple, lorsque l’on célèbre un mariage. Par Serge Gaudreau À cette époque, se rendre devant l’autel est un passage obligé chez les jeunes catholiques qui veulent vivre en couple. On le fait plutôt jeune, généralement au début de la vingtaine. Cet événement rassembleur permet aux membres des familles concernées de se réunir et de festoyer après une semaine d’ouvrage qui excède souvent les 60 heures. En 1938, on compte 61 mariages catholiques à Magog pour environ 9 000 habitants, soit 36 à Saint-Patrice et 25 à Sainte-Marguerite-Marie. L’année précédente, on aurait même établi un «record» pour une ville de population comparable, avec 21 mariages dans le seul mois d’août 1937! Un contexte particulier expliquerait cette affluence, soit une grève paralysant la Dominion Textile du 2 au 27 août. Le mot mariage est également sur beaucoup de lèvres à l’été 1939. Le 23 juillet, une délégation magogoise, estimée à 200 personnes, se rend à Montréal pour assister à un événement inusité présenté dans le cadre du 2e congrès annuel de la Jeunesse ouvrière catholique (JOC). Il s’agit d’un mariage collectif au cours duquel 105 couples prononcent leurs vœux devant 25 000 spectateurs remplissant les gradins du stade de baseball de la rue Delorimier. Rien ne marque cependant les mémoires comme la «course au mariage» de l’été 1940. Celle-ci est déclenchée le 13 juillet, quelques jours après l’annonce par le ministre fédéral des Services de guerre nationaux, James G. Gardner, d’un décret relatif à l’enregistrement national obligatoire. La tournure de la guerre en Europe, particulièrement la défaite de la France face à l’Allemagne, incite en effet le gouvernement canadien à procéder à l’enregistrement des hommes à des fins d’entraînement militaire. Il n’est pas alors question de conscription pour service outre-mer, le premier ministre William Lyon Mackenzie King s’étant engagé à ne pas recourir à cette mesure qui avait suscité beaucoup de mécontentement au Québec lors de la Grande Guerre 1914-1918. Cette démarche, que plusieurs redoutent comme une étape préliminaire à la conscription, provoque néanmoins des appréhensions. La raison : si les hommes mariés ou occupant des postes essentiels verront leurs noms figurer sur une liste différée, ceux qui seront encore célibataires le 15 juillet 1940 deviendront, eux, immédiatement admissibles. La proximité de cette date butoir fait réagir. Les 13 et 14 juillet, des milliers de Québécois se retrouvent dans les églises pour faire bénir leur union. Cette «course au mariage», ou ce «blitzkrieg de l’amour», comme on l’écrit dans La Chronique de Magog du 18 juillet, crée une véritable cohue. À Sherbrooke, 125 couples se jurent fidélité pendant cette fin de semaine, dont 40 dans la seule paroisse Immaculée-Conception. À Magog, 26 mariages sont célébrés, 8 à Sainte-Marguerite-Marie et 18 à Saint-Patrice. Ce qui fait beaucoup d’activité dans la ville puisqu’un festival de fanfares attire au même moment des milliers de personnes à la pointe Merry. Pour marier tous les couples avant le fatidique 15 juillet, certaines cérémonies qui ont lieu le samedi, et exceptionnellement le dimanche, se font rapidement. Plusieurs laissent d’ailleurs de côté le voyage de noce qui sera remis à plus tard. Tous les moyens sont bons pour respecter les échéances. Édouard Roy, un ex-rédacteur de La Chronique de Magog habitant à Noranda, en Abitibi, unit même sa destinée à la Sherbrookoise Laurette Foucher…par téléphone! L’anecdote a sans doute fait rire au fil des ans. Elle donne néanmoins un aperçu du sentiment d’urgence qui a animé une partie de la jeunesse québécoise pendant cette fin de semaine mouvementée. Ce sentiment a laissé des traces, puisqu’avec un taux de nuptialité de 10,7 pour 1 000 personnes au Québec, l’année 1940 constituait un nouveau record qui reste inégalé à ce jour.