TRIBUNE LIBRE: Projet sur la rue de Hatley : un enjeu qui mériterait un plus large débat public
Madame la mairesse
Mesdames et Messieurs les élus municipaux
Vous ne me connaissez pas, je ne suis qu’un simple citoyen retraité de Magog, copropriétaire du gîte touristique Amour et Amitié situé au centre-ville, rue de Hatley, qui a voté aux dernières élections, mais qui se tient loin d’habitude de la chose municipale. Honteusement.
Samedi dernier, 26 mars, deux dames du quartier ont sonné à ma porte pour m’inviter à signer une pétition contre un projet d’un développement de 17 immeubles multifamiliaux, sur la rue de Hatley, dans un boisé, à 7 minutes environ de chez moi à pied, en me montrant un article du Reflet du Lac du 17 mars, signé par Dany Jacques.
Selon cet article, le développement prendrait place quelque part sur un vaste terrain entre la rue de Hatley et la rivière Magog, entre la rampe de mise à l’eau et le site désaffecté de traitement des eaux usées de la défunte entreprise C.S. Brooks, qui ne serait toutefois pas touché.
J’en ai été catastrophé. Sans compter que l’endroit inclut une zone humide à protéger bec et ongles, j’y ai vite reconnu, une grave menace à l’intégrité d’un coin de nature sauvage que je chéris le plus à Magog, un tronçon de la piste cyclable La Montagnarde qui passe juste devant chez moi.
Venu du centre-ville de Montréal, il y a 8 ans, délaissant la grande ville pour ce joyau qu’est Magog, serti entre montagne et lac, ce sentier, je le parcours pratiquement tous les jours depuis ce temps et je me le suis tellement appropriée que j’en parle comme de » mon » sentier, je m’y suis fait des » amis de sentier « , j’y entretiens des mangeoires à oiseaux, j’égaie des souches creuses de plantes fleuries de mon jardin l’été, avec des petits messages d’amitié, peints sur pierre ou sur bois, destinés à ces autres amants de la nature que sont les autres utilisateurs. Pour la période des fêtes 2020, en pleine pandémie, je me suis même transformé en troubadour ou amuseur de rue pour égayer le sentier de chants et de cantiques des Noëls d’autrefois, au pied d’une crèche que j’y avais montée. C’est donc pour moi, plus qu’un sentier, c’est un lieu de convivialité et de fraternité.
L’article de Dany Jacques m’apprenait qu’il y avait une consultation écrite et, je dirais éclair, sur un projet de règlement et que la date limite pour émettre réagir était le mercredi 30 mars. Pestant, fulminant, rageant, contre un tel » manque de vision » en ce siècle de l’environnement, j’ai produit à toute vapeur, un avis d’opposition que je qualifiais de » opposition becs et ongles » et que j’ai fait parvenir, encore fumant, chaud et brouillon, jusque à temps, au service d’urbanisme.
Aujourd’hui je me suis calmé un peu, je ne sortirai pas mes griffes et je me suis attaché le bec, mais je viens plutôt vous tendre la main, vous élus municipaux, pour que nous puissions envisager ensemble et avec toute la communauté, pour cette zone de nature que du développement résidentiel, un autre futur possible. J’ai toujours eu beaucoup de respect et d’admiration pour nos élus, à tout niveau. À priori, j’ai confiance en vous. C’est pourquoi, je vous tends la main.
Vous êtes d’accord que ce projet d’un groupe d’homme d’affaire de l’Estrie pour le moment non publiquement identifié est un projet d’envergure : 17 » blocs » de 6 logements, avec 3 nouvelles rues : une principale et deux transversales, pour desservir ces 102 logements. Vous êtes en mesure d’apprécier aussi qu’il s’agit là d’une agression majeure pour un site exceptionnel, avec vue sur le barrage et sa chute d’eau, dans un beau boisé en pente bordant la piste cyclable et la rivière. Vous en êtes sûrement conscient, car vous êtes à vous pencher sur un projet de règlement pour mitiger le plus possible les inévitables dégâts.
Vous conviendrez probablement aussi qu’il me soit difficile d’imaginer même en étant médecin, comment, toute chirurgicale que vous puissiez la souhaiter, cette intervention agressive pour implanter, entre les arbres, 17 édifices multifamiliaux, ne défigurera pas à jamais le visage d’un des derniers boisés naturels au cœur même de Magog, je dirais en plein centre-ville. Le projet, s’il se réalise, va transformer profondément, et pas en mieux, un des plus beaux sites de tout le parcours cycliste, le pied des chutes du barrage, la rivière et le petit boisé.
En plus des cyclistes, qui viennent de partout, vous ne pouvez ignorer que ce site a actuellement beaucoup d’autres utilisateurs : gens du quartier, du grand Magog ou d’ailleurs, comme les hôtes des gîtes environnants , nommons-en certains : beaucoup de retraités qui font leur marche de santé, jeunes mamans ou papas poussant carrosses, petites ou grandes familles, écoliers avec leurs enseignants faisant des classes natures, pêcheurs du dimanche, joggeurs, maîtres ou maîtresse promenant leurs toutous, de simples randonneurs, mais aussi des ornithologues et photographes amateurs, artistes peintres, adeptes de la méditation, tout cela dans un décor unique en toute saison. Pour ces utilisateurs, ce projet peut constituer une nuisance majeure. Cet enjeu n’est pas du tout soulevé par votre projet de règlement, qui n’aborde le projet que sous l’angle étroit de l’intégration architecturale.
Le projet de règlement demeure en effet étrangement silencieux sur d’autres enjeux majeurs connexes, qui préoccupent les citoyens, comme : le sort de la piste cyclable elle-même, le bruit, la pollution, la lumière excessive , la circulation automobile, la location à court terme permise ou pas avec des hordes possibles de fêtards de fin de semaine, bruyants et pollueurs, dans un temple de la Nature, l’impact potentiel sur les milieux humides voisins, habitats, entre autres, de tortues, qui, chaque mois de juin, d’autres d’une activité fort prisée de tous ces utilisateurs : l’observation d’une faune terrestre et ailée étonnamment diversifiée en plein cœur d’une ville, dont parmi les plus notables, j’en ai photographié souvent dans l’aire ciblée, des cerfs de Virginie.
Donc le projet, vous comprendrez, suscite beaucoup d’inquiétude, questions et opposition. Une journée d’information et de consultation n’aurait pas été de trop pour les dissiper ou atténuer, ce que ne fait pas cette consultation écrite d’une durée de deux semaines seulement. Il n’est pas trop tard, vous pouvez toujours vous raviser. Pour moi et pour d’autres, vous semblez vouloir classer rapidement cette affaire.
Cependant, ce premier projet immobilier, s’il se réalise, à mon avis, pourrait bien ne pas être le dernier, mais sceller le sort de toute cette section de la rive sud de la rivière Magog, en ouvrant la voie au développement immobilier tout au long de la piste cyclable et de la rivière jusqu’à maintenant préservée. C’est un enjeu qui mériterait un plus ample débat public.
Je vous tends la main pour un dialogue sur ces enjeux, en vous invitant à être aussi sages et visionnaires que vos prédécesseurs à la mairie de Magog. Vos prédécesseurs ont été sages et visionnaires en achetant en 1909, un vaste terrain de la succession Merry où se trouve de nos jours le magnifique parc-jardin qu’est le parc Merry. Même s’ils les ont trop bétonnées à mon goût, mais c’était la mode du temps, ces rives frontales du lac et de la rivière Magog seraient aujourd’hui là aussi bordées de domaines et de luxueuses résidences privées, au lieu d’être un espace public. Ils ont été sages également de mettre fin à une époque plus récente, à l’utilisation du marais de la Rivière-aux-Cerises comme dépotoir et à son remblayage pour des fins de développement résidentiel et de le réhabiliter avec la collaboration de la communauté pour en faire ce qu’il est aujourd’hui. Ce sont deux joyaux de Magog.
C’est à votre tour d’être aussi sages et visionnaire que vos prédécesseurs et de protéger ce troisième bijou du centre-ville de Magog: la rive boisée et non bâtie de la Rivière Magog, sur toute cette section de la piste cyclable, qui peut être considérée, après le Marais de la Rivière-aux-Cerises, comme le deuxième poumon du centre-ville, et de le transmettre intact aux générations futures, vous méritant ainsi une reconnaissance éternelle.
Je vous tends la main, et au lieu de rêver d’immobiliers, rêvez Nature avec moi et toute la communauté. Mon rêve, qui vous paraîtra à la fois flou et fou peut-être, comme sont d’ailleurs les rêves, serait plutôt voir la ville faire l’acquisition, s’il y a lieu, je manque en effet beaucoup d’informations, de tous ces terrains qui vont de la zone de mise à l’eau jusqu’aux étangs, et même au-delà et en faire, avec la réhabilitation des anciennes installations d’épuration des eaux, un parc linéaire comme celui de la rivière Saint Charles à Québec , un PARC NATURE, où la priorité serait accordé à la protection et à la valorisation de la faune et de la flore et de la nature sauvage, et l’utilisation ouverte à tous pour des activités compatibles avec la nature des lieux. Toute cette zone serait ainsi protégée de toute spéculation immobilière et de tout développement domiciliaire futur, car il est permis de soupçonner que ce projet de la zone identifiée comme la R-333 ne serait qu’une première phase d’un projet d’urbanisation de la rive sud de la rivière Magog, beaucoup plus vaste.
Au minimum, il faut un débat public plus large sur la question et peut-être même un référendum.
Je me fie sur vous.
Merci d’accepter ma main tendue.
Rénald Bujold
Magog