TRIBUNE LIBRE: Lettre à nos élus et promoteurs de Magog face aux défis démographiques et climatiques

Cher élus et promoteurs

Comme plusieurs citoyens, je suis avec beaucoup d’intérêt les projets de développement immobilier qui sont proposés à la ville. Nous savons tous que la ville doit poursuivre son développement, afin de répondre à la demande et la pénurie de logement dans la région. Cela passe inévitablement par une densification de secteurs prioritaires. Même si le mot densification à la cote ces temps-ci, les experts avancent davantage le terme douce densification. Cela veut dire que l’urgence de construire ne doit pas se faire, sans revoir les balises sous la lunette de l’urgence climatique. Plus que jamais Magog doit continuer d’être « créative de nature ».

La rue de Hatley est identifiée comme secteur prioritaire de développement pour la ville de Magog. Un site est prioritaire car il est le prolongement logique de la ville. C’est une zone qui limite l’étalement urbain et qui peut profiter en grande partie des infrastructures en place, ce qui évite le prolongement des réseaux existants. En contrepartie des zones à développer, il y aura aussi des zones ou secteurs à protéger.

Tout d’abord, comment Magog fixe t-elle les paramètres de densification pour déterminer combien de logements un promoteur à le droit de construire sur une superficie donnée? Dans ce cas précis, le promoteur et la ville ont un intérêt commun de maximiser la densification. Davantage de logements impliquent plus de profits pour le promoteur et plus de taxes à prélever pour la ville. Ce chiffre magique n’est souvent connu que du promoteur, qui va tenter de s’y conformer ou peut-être plaider une dérogation en sa faveur. Est-ce qu’il y un tiers neutre qui arbitre cette décision? Quelles sont nos villes de référence en Amérique du Nord? Pour le projet de la rue Hatley, on parle de 17 bâtiments de 6 logements pour un total de 102 nouvelles adresses. N’est-ce pas beaucoup pour le terrain convoité ? Si pareil projet se concrétise, la forêt urbaine n’aura pas le choix de disparaître. Rien ne sera réellement préservé. Déraciner des arbres matures pour planter quelques jeunes pousses n’est pas la solution.

Pour vous donner une idée, le site où se construit actuellement le stationnement à étage sur la rue St-Patrice, était auparavant affiché comme terrain « prêt à construire » par un courtier de la région. Ce courtier affirmait que ce terrain pouvait recevoir un projet immobilier de 50 portes. Cela m’a paru bien élevé pour une si modeste superficie. Mais c’était selon le courtier, la norme établie à la ville. Est-ce que cette norme est toujours valide selon un urbaniste indépendant?

Ensuite comment la ville s’y prend pour calculer la pression d’un nouveau développement sur nos infrastructures d’eau potable. Il est facile de construire une usine d’épuration selon la taille d’un quartier, mais l’eau potable est une ressource variable et épuisable, qui ne se calcule pas aussi bien. Nous avons vu dernièrement des municipalités qui ont manqué d’eau, avant de manquer de projets.

Puis enfin est-ce que la ville prend en compte l’effet cumulatif des projets immobiliers qui lui sont présentés? Combinés ensembles, les projets peuvent amplifier la pression sur les infrastructures. De plus, les travaux de pavage et de déboisement ont un effet synergique sur les îlots de chaleur et sur la réduction de la capacité d’absorption des sols.

J’ai entendu les élus parler du boisé de la rue Hatley, de site à faible valeur faunique, étant faiblement peuplée en mammifères ou espèces protégées. Cependant la valeur d’une forêt urbaine ne se mesure pas qu’à sa faune. La forêt attire des oiseaux ce qui crée un environnement et bruit de fond apaisant qui favorise la qualité de vie. Elle agit comme écran acoustique pour atténuer les bruits au loin, comme filtre à poussière et comme régulateur thermique. Faudra-t-il perdre la forêt pour réaliser les services qu’elle rendait à sa population. Il doit avoir moyen d’être créatif de nature et de trouver un terrain d’entente vers une douce densification.

Pour amorcer ce virage et développer intelligemment les futurs quartiers de Magog, nous aurons besoin de promoteurs qui souhaitent s’aligner avec ces valeurs. Cette approche gagnant-gagnant doit permettre de générer de la valeur dans les poches du promoteur, mais aussi dans le parc immobilier qui deviendra l’héritage de la ville. Jusqu’à ce que les gouvernements et les municipalités décident de financer et encourager ce genre de projet, nous devrons compter sur l’initiative et l’approche innovante des promoteurs.

Dans un souci de préserver l’eau potable, la ville pourrait exiger que tout nouveau projet immobilier intègre des toilettes et des douches à faible débit. La norme pour une toilette standard est de 6 litres d’eau potable par chasse, alors qu’il existe des toilettes très performantes qui ne consomment que 3 litres/ chasse. Cette mesure simple et sans grand effort financier, permettrait d’économiser un demi million de litre d’eau par an, pour un parc immobilier de 100 logements. Et bien sûr cette quantité d’eau économisée n’aura pas à être traitée à l’usine d’épuration. Même logique pour les douches à faible débit dont la ville fait déjà la promotion.

Dans un optique de changements climatiques où nous partageons tous l’eau potable, il serait avisé d’équiper éventuellement toutes les habitations de Magog, avec des compteurs d’eau, de manière à pouvoir taxer ceux qui consomment l’eau de manière excessive. Cette ressource partagée doit être accessible à tous, et ceux qui la gaspillent doivent contribuer à la hauteur de leur consommation. Les promoteurs doivent faire leur part. Les citoyens aussi.

Tous les nouveaux projets immobiliers devraient rencontrer au minimum la norme Novoclimat. Cette façon de construire n’est pas si différente du code du bâtiment, sauf que cette norme exige un test d’étanchéité sur le bâtiment et cela permet de conclure que le promoteur a construit selon les règles de l’art. Cette simple validation permet de construire un bâtiment dont la facture d’énergie sera réduite de moitié. Cet investissement rehausse la valeur du parc immobilier et profite au locataire ou à l’acheteur.

Les rapports sur les changements climatiques indiquent clairement qu’il faut limiter l’étalement urbain, conserver des zones végétalisées pour limiter les îlots de chaleur et préserver les propriétés hygroscopiques des sols. Il faut structurer les nouveaux quartiers pour intégrer le transport actif, l’autopartage et la mobilité durable. Hydro-Québec entrevoit déjà des défis d’approvisionnement en électricité. Sa pdg Sophie Brochu, cite que nos maisons sont de véritables passoires énergétiques.

Il est impératif de construire des habitations plus résilientes et plus performantes. La crise de l’énergie se fera sentir d’abord dans les régions à forte croissance démographique, comme ce que nous vivons à Magog et dans toute la MRC. Pour Hydro Québec, pas question de nouveaux barrages avant d’avoir fait ce virage énergétique. Il y a 40 Térawatts d’économie à aller chercher en éliminant le gaspillage du parc immobilier, soit l’équivalent du dernier projet de de la Romaine.

Pour être créatif de nature et de valeur, il faut s’inspirer des meilleures pratiques car Magog et ses environs vont continuer d’être convoités pour sa beauté. Il ne faudra pas gâcher cela.

Patrick Lagrandeur

Magog