La douleur de perdre un fils… toujours vivant

TÉMOIGNAGE. Le passage de Francine Ruel à l’émission Tout le monde en parle a ému une bonne partie du Québec, le 29 septembre dernier, mais plus particulièrement Pierre Cabana, qui doit également vivre le cruel deuil d’un enfant encore vivant.

L’architecte magogois juge important de parler de ces enfants qui disparaissent du paysage familial pour vivre dans la rue, et qui donnent rarement ou jamais de nouvelles. «J’ai enfin constaté que d’autres parents vivaient des situations dramatiques comme moi. Il faut en parler, car il en existe beaucoup plus qu’on pense. Moi, j’ai un fils qui “bumme” à Montréal depuis 22 ans et nos liens sont totalement rompus depuis 18 mois», confie-t-il.

Déjà père de deux enfants nés d’une première union, tout se passe bien avec Thomas, mais les problèmes débutent très tôt dans la vie de Jonathan, arrivé dans la famille Cabana à l’âge de six ans.

Les problèmes de mensonges, de consommation, de vol et d’ordre scolaire ponctuent son adolescence. Il quitte pour Montréal à 17 ans, sans terminer son secondaire et avec la police à ses trousses. Il a aujourd’hui 39 ans, probablement dans la rue et sans domicile fixe. «Je crains toujours de recevoir un appel pour m’annoncer son décès ou une surdose, s’attriste-t-il. On pense souvent à lui.»

Pierre Cabana n’a même pas de numéro de téléphone ni d’adresse pour le joindre. Son fils l’a déjà appelé pour obtenir de l’aide financière, mais M. Cabana allait plutôt lui porter de la nourriture et des vêtements chauds pour passer l’hiver. «On se voyait brièvement, parfois dans une station de métro. Il était souvent très pressé, ayant peur de quelque chose ou de quelqu’un à ses trousses.»

La situation est parfois plus dramatique. Un appel de la police a déjà été fait pour informer le paternel que son fils a été retrouvé complètement «gelé» dans la rue. Il semble également avoir de «très mauvaises fréquentations», lance M. Cabana sans vouloir en dire plus.

Pierre Cabana s’explique mal comment Jonathan, qui a bénéficié du même encadrement que son frère adoptif, ait pu choisir un avenir sombre plutôt que lumineux. Les parents se sentent coupables et se demandent ce qu’ils ont pu faire ou négliger pour qu’un fils emprunte le chemin de la délinquance. La vie familiale et de couple est affectée. Les liens sont également rompus avec ses frères et sœurs.

«Je crois qu’il a un problème de consommation et de santé mentale, observe-t-il. On ne connaît pas tout de ses premières années dans son pays natal. Je pense qu’il a un problème de conception de la vie depuis sa naissance. C’est triste et ça m’affecte, mais j’ai tellement de bonheur autour de moi, que ça m’aide à vivre avec ce malheur», confie-t-il.