300 000 $ dorment pour protéger des milieux humides dans Memphrémagog

ENVIRONNEMENT. La Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques (MHH) a été adoptée en 2017, mais 300 000 $ dorment toujours à Québec pour restaurer et protéger ces écosystèmes situés dans la MRC de Memphrémagog. Cette somme a été obtenue pour compenser la perte de 23 300 mètres carrés de MHH dans la région depuis cinq ans, ce qui représente l’équivalent d’environ trois terrains de soccer.

Cela signifie que le ministère de l’Environnement, Lutte contre les changements climatiques, Faunes et Parcs (MELCCFP) autorise des demandes de destruction de milieux humides depuis 2017, mais sans entièrement retourner dans la région les compensations financières exigées aux demandeurs qui modifient leur terrain ou qui souhaitent le faire.

Concrètement, seulement 6,7% des sommes sont revenues dans la MRC depuis cinq ans. Une tranche de 20 000 $ a été octroyée en 2021 à Bleu Massawippi pour son projet intitulé «MHH Tomifobia-Massawippi».

Le même phénomène se produit à l’échelle provinciale avec 100 M$ qui dorment à Québec avec une dépense de seulement 2,6% des fonds recueillis à ce jour, selon La Presse.

Cette loi a été créée pour donner plus de mordant aux règles entourant la protection des milieux humides. Québec doit d’abord analyser les interventions avant de les autoriser. Les demandeurs doivent, par contre, remettre une compensation financière pour obtenir l’aval du gouvernement. Cet argent doit servir à protéger et restaurer d’autres milieux humides afin de respecter la loi qui vise «aucune perte nette».

Depuis cinq ans, la période comprise entre le 1er avril 2021 et le 31 mars 2022 a été particulièrement très active. Québec y a autorisé la destruction d’environ 15 000 mètres carrés de milieux humides et hydriques dans la MRC de Memphrémagog. Cette statistique équivaut à une compensation de 207 000 $ qui devrait, normalement être réinvestie dans la MRC. La vaste majorité de ces espaces sont sur le territoire de la ville de Magog. 

DÉPLACER UNE ZONE HUMIDE POUR UNE QUINCAILLERIE?

La plus importante demande de la période 2021-2022 concerne une «intervention en milieux humides pour l’implantation d’un complexe commercial» sur la rue Sherbrooke, à Magog. Les données et informations obtenues auprès du ministère indiquent la destruction de 8564 mètres carrés de milieux humides. Le montant perçu à cet endroit s’élève à 66 300 $.

On n’avait pu joindre le propriétaire François Picard (Imobia) ni le porte-parole de Canac au moment d’écrire ces lignes, mais il s’agit d’un projet de remblais de milieux humides précédant la possible construction de la quincaillerie Canac à deux pas du Walmart.

La Ville de Magog confirme que la construction du Canac nécessitera la disparition d’un milieu humide de plus de 8000 mètres carrés. La Municipalité précise que le propriétaire a choisi de conserver un autre milieu humide sur le même terrain. Il s’agit d’une zone humide de 2472 mètres carrés localisée au nord-est du terrain, adjacent au ruisseau Rouge.

Le ministère de l’Environnement ajoute que les milieux humides affectés par le projet de quincaillerie ne présentent aucune particularité. « Ils ont été classés « non dégradés » à des fins de calculs de la compensation. Aucune espèce floristique à statut n’a été observée sur le site. Cependant, trois espèces exotiques envahissantes sont présentes et des mesures ont été prévues pour en éviter la propagation », détaille la porte-parole régionale du MELCCFP, Ghizlane Behdaoui.

AUTRE COMPENSATION AUX QUATRE-FOURCHES

La seconde demande en importance en 2021-2022 touche un terrain vacant situé à l’angle de la route 112, ainsi que des chemins Roy et Southière à Magog. La famille Lamarre a payé 61 000 $ pour obtenir l’autorisation de détruire 3339 mètres carrés de milieux humides. L’objet de la demande consistait à une intervention en milieux hydriques et humides pour l’implantation de locaux commerciaux. 

Joint pour commenter ce dossier, Dominic Lamarre confirme l’intérêt du groupe pour développer éventuellement ce terrain stratégique. Il mentionne qu’il est trop tôt pour dévoiler un projet concret à cet endroit. Il indique également que les travaux de remblai n’ont pas encore été réalisés, et qu’il doit attendre l’autorisation de la Ville avant de procéder.

La Ville de Magog fait aussi partie de la liste des demandeurs. Ses trois demandes totalisent près de 40 000 $ pour la destruction de 1147 mètres carrés de milieux humides. Elles concernent des interventions au ruisseau Custeau (construction d’une digue), pour la préparation d’un terrain industriel et une autre pour régler des problèmes d’érosion dans un cours d’eau non identifié dans les documents transmis par le ministère de l’Environnement.

Le ministère des Transports figure à deux reprises à titre de demandeur en 2021-2022. On lui a autorisé la destruction de 714 mètres carrés à North Hatley pour le réaménagement de la route 108, plus précisément entre la rue Hovey et le boulevard de l’Université. S’ajoutent 442 mètres carrés en moins pour le réaménagement de l’échangeur du kilomètre 118 de l’autoroute 10, à Magog. Ces deux dossiers totalisent 40 000 $ en compensations financières.

UN MANQUE DE COMMUNICATION

Ces dossiers semblaient étonnamment inconnus auprès d’élus de la MRC et de la Ville de Magog. Le préfet de la MRC, Jacques Demers, aimerait évidemment que les élus et leurs équipes soient davantage mis au courant dans ce type de dossiers, surtout que la MRC est sur le point d’adopter son Plan régional des milieux humides et hydriques. M. Demers semble guère surpris, car il ne s’agirait pas du premier manque de communication entre les instances régionales et ministérielles.

Ce plan est important, aux yeux de la coordonnatrice des services professionnels de la MRC,  Mélanie Désautels. «Son contenu fera partie des prochaines analyses de Québec dans chaque dossier provenant de la région, détaille-t-elle. Ce plan aura comme fonction de préserver les fonctions écologiques des milieux humides et hydriques et identifier des espaces qui représentent un intérêt. Il comprendra des actions à prendre pour les 10 prochaines années incluant un objectif de zéro perte nette.»

La mairesse de Magog, Nathalie Pelletier, avoue que ce type d’information est faiblement partagé par le MELCCFP. Ses équipes possèdent néanmoins ce type d’information lorsque les projets de développement sont analysés.  

« Le volet environnement et protection des milieux humides et naturels est un sujet prédominant dans notre planification de développement du territoire », dit-elle.

En 2023, dans le cadre de la révision de son Plan d’urbanisme, la Ville va planifier des ateliers et séances d’informations citoyennes touchant le volet environnement. Les gens pourront proposer des projets visant la protection et la mise en valeur du patrimoine naturel. 

Par ailleurs, les demandeurs n’ont pas l’obligation d’aviser le ministère lorsque les travaux sont réalisés. Il est donc difficile de savoir si des travaux ont été effectués et quand. Le Contrôle environnemental du ministère effectue néanmoins des suivis là où les impacts et les risques environnementaux pourraient être plus importants.

La porte-parole régionale du MELCCFP, Ghizlane Behdaoui, mentionne que l’objectif de la Loi est de protéger davantage les milieux humides, des espaces qui figurent parmi les «écosystèmes les plus productifs qui existent». Elle rappelle que ces zones jouent un rôle écologique important pour la faune, mais aussi pour la population grâce à la filtration de l’eau, la gestion des eaux de pluie ou la séquestration du carbone. «Les milieux humides contribuent ainsi au bon état général de l’eau, des sols, de la biodiversité et, donc, à la qualité de l’environnement», ajoute-t-elle.

Conscient que des améliorations sont nécessaires, le ministère de l’Environnement reconduira bientôt avec des changements le Programme de restauration et de création des milieux humides. «Cette seconde édition sera revue pour amener davantage de clientèle à déposer plus de projets, enchaîne Mme Behdaoui. Les seuils de financement pourraient être rehaussés pour financer davantage de projets plus ambitieux.»

«UN PETIT MARAIS PEUT JOUER UN GRAND RÔLE»

Les demandes pour détruire des milieux humides (voir plus haut dans cet article) totalisent 23 300 mètres carrés, soit l’équivalent de trois terrains de soccer. La superficie totale ne semble pas suffisamment immense pour créer un impact négatif sur la faune et la flore. Un professeur de géomatique appliquée de l’Université de Sherbrooke, Richard Fournier (photo plus bas), prévient toutefois que la superficie d’une zone humide ne représente pas le critère le plus important pour évaluer son rôle sur l’environnement.

Selon ce spécialiste de la cartographie des milieux forestiers et humides, c’est plutôt les fonctions et les capacités de filtration, par exemple, que joue ce milieu qui devraient primer pour évaluer l’importance de ces zones. «C’est peut-être plus facile de négliger de petits espaces, mais à force d’en détruire, les mètres carrés deviendront des kilomètres carrés disparus à jamais», spécifie-t-il.

«ÇA SENT L’IMPROVISATION»

M. Fournier applaudit l’adoption de la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques en 2017. «Ce fut un pas significatif et positif qui a fait ralentir la destruction de ces milieux, explique-t-il. Ce n’est pas encore parfait, mais on progresse dans le bon sens. On doit toutefois améliorer le retour des compensations financières dans chaque région et cibler des lieux d’intervention pour accélérer la restauration et la création de milieux humides. Ça sent plutôt l’improvisation jusqu’à maintenant.»

Selon lui, un des grands dangers est l’insouciance des élus et de la population sur l’importance de protéger ces zones, qui sont davantage que des «simples pouponnières à moustiques». Il met l’accent sur ces milieux humides qui captent notamment des sédiments tout en réduisant le nombre de sécheresses et l’impact des inondations. 

Richard Fournier suggère à chaque milieu d’améliorer la coordination de ces actions afin d’y avoir une vue plus globale et à long terme que la simple perspective locale. «Gérons avec des spécialistes et par bassin versant plutôt que de prendre des décisions à la pièce, comme on l’aperçoit encore trop souvent dans certaines municipalités», suggère-t-il.

Il met aussi un bémol sur le concept de «zéro perte nette», l’un des objectifs fixés par Québec. «J’encourage ce but, mais la protection de l’environnement serait accrue en gardant intactes les actuelles zones humides et hydriques, plutôt que d’en détruire et d’en créer ailleurs.»