TRIBUNE LIBRE: Grève dans les CPE: petite réflexion pour la population

Tu veux savoir où tu ne comprends pas pourquoi nous les travailleuses des CPE/BC syndiquées avec la CSN allons sortir en grève cette semaine,  et que nous allons solliciter un mandat de grève générale illimitée?

Et bien voici…

Le Conseil du Trésor (donc le Gouvernement de la CAQ) refuse de négocier avec nous tant que nous n’acceptons pas leur offre salariale. Tu te dis… « Les éducatrices vont gagner 30$/heure! Elles se plaignent de quoi les bébés gâtés? » Voici quelques faits concernant leur offre si généreuse et équitable :

  • la rattrapage salarial ne touche que les éducatrices et les éducatrices spécialisées
  • savais-tu que dans un CPE/BC, il y a aussi des travailleuses qui ne sont pas éducatrices? Et oui! Il y a des :
    • agente conseil en soutien pédagogique et technique (qui ont la même formation que les éducatrices, mais qui gagneront moins qu’elle, même si avant les sorties médiatiques de Mme Lebel ces mêmes ACSPT gagnaient PLUS qu’une éducatrice!)
    • adjointes administratives (qui ont un DEC et qui gagneront moins)
    • responsable en alimentation (qui doivent entre autre, gérer toutes les spécifications alimentaires en passant par les allergies, les intolérances, les restrictions religieuses, les choix parentaux, etc.)
    • préposées (qui font un travail essentiel de désinfection, d’entretien ménager, de soutien à la cuisine, etc.)
    • agente de conformité (qui s’assurent que les services offerts dans les services de garde en milieu familial respectent les diverses réglementations et accompagnent nos RSG)
    • secrétaire comptable (qui sont souvent le bras droit des gestionnaires)
    • commis comptable (qui s’occupent des factures, de la comptabilité, etc.)
    • secrétaire réceptionniste (qui répond au téléphone, comptabilisé les absences et les motifs, répond aux questions des parents utilisateurs, etc.)

Nous croyons que toutes nos travailleuses méritent un rattrapage salarial substantiel. Est-ce que tu accepterais, toi, que les travailleurs d’un seul département d’une usine bénéficient d’un rattrapage salarial sous prétexte que ce sont eux qui sont en contact direct avec le « client »? C’est ce que le Conseil du Trésor essaie de faire. Certaines appellations d’emploi ne bénéficieraient que d’un maigre 2% par année, même pas assez pour accoter l’augmentation du coût e la vie (PIB)…

Au-delà du salaire

Mais le salaire est loin d’être l’unique raison qui nous motivent à sortir en grève. Savais-tu que dans la réglementation des Services éducatifs à l’enfance, il y a un article sur les ratios éducatrices/enfants? Non? Voici ce qui est écrit à l’article 21 :

  1. (21) Le titulaire d’un permis doit s’assurer que le nombre minimum de membres du personnel de garde présents pour assurer la garde des enfants qu’il reçoit dans son installation respecte les ratios suivants:
  2. 1° un membre pour 5 enfants ou moins, âgés de moins de 18 mois, présents;
  3. 2° un membre pour 8 enfants ou moins, âgés de 18 mois à moins de 4 ans, présents;
  4. 3° un membre pour 10 enfants ou moins, âgés de 4 ans à moins de 5 ans au 30 septembre, présents;

Depuis les coupures légendaires des années 2015 et 2017, le règlement est interprété de différentes façons afin d’avoir une flexibilité dans la gestion des groupes. Ces façons de faire, dont la pause non remplacée (ça, c’est lorsqu’une éducatrice doit surveiller le groupe de sa voisine de local pendant que celle-ci prend sa pause) et le fameux « ratio bâtisse » (ça, c’est quand on ajoute exemple un enfant « remplaçant » dans un groupe de 18 mois pour en avoir 9, parce qu’un enfant dans un groupe de 4 ans est absent) font en sorte qu’une éducatrice se retrouve avec plus d’enfants que le ratio le permet. Nous voulons donc baliser le RATIO dans nos conventions collectives dans le but que ceux-ci soient respectés et que ton enfants évolue dans un environnement optimal pour son développement.

Des heures de planifications pédagogiques, des heures pour le portrait de l’enfant, du temps de planification à la cuisine… Tu te dis « Ben voyons! Elles se prennent pour des profs? » et non, nous sommes des techniciennes professionnelles de la petite enfance. Pour que tu comprennes bien, je vais te t’expliquer avec une image mentale… C’est comme si nous préparions le contenant nécessaire à l’enfant pour que le professeur puisse y faire entrer le contenu. Nous sommes complémentaires, pas comparables. Chacun a son rôle à jouer. Mais tu vois, pour bien accompagner l’enfant dans son développement, nous devons observer, planifier, organiser, synthétiser, analyser, etc. Nous avons donc besoin de moments hors présence enfant pour bien faire notre travail.

À la cuisine, est-ce que j’ai besoin de te dire que la responsable en alimentation doit élaborer les menus, faire les commandes, prendre en considération TOUTES les spécifications alimentaires des enfants et s’assurer qu’elles sont toutes respectées? Elle ne fait pas juste cuisiner le repas et les collations… Elle a aussi besoin de temps hors cuisine pour voir à la santé et la sécurité des enfants.

Maintenant, les congés fériés et les vacances…

Maintenant, les congés fériés et les vacances… Lors de la négociation 2010-2015, nous avons obtenu une table nationale où étaient assis le Ministère et les employeurs, pour négocier tous les aspects monétaires. Nous avons dû arrimer plusieurs clauses, car elles différaient d’une région à l’autre. Au lieu de d’établir un plancher à toutes les travailleuses et figer les acquis supérieurs des autres, on a niveler par le bas plusieurs clauses, dont les congés fériés et les vacances.

Jusqu’en 2015, nous avions 13 jours fériés (et les parents aussi avaient 13 fériés dans leur contrat). Lors de la dernière négociation, nous avons perdu 2 de ces 13 fériés pour se retrouver à 11 fériés (mais toujours 13 pour les parents au contrat). Pour compenser leur perte, on nous a donné la possibilité être au CPE pour faire de la planification pédagogique ou encore de prendre un congé dans nos banques de congés maladie/personnel ou banque de temps accumulé. Bref, nous pouvions être payées.

Aujourd’hui, nous demandons à ravoir nos 13 fériés, qui sont, je te le rappelle, toujours financés par le Gouvernement. Le Conseil du Trésor accepte de nous les redonner, MAIS nous dit que nous recevrons 11/13è de notre rémunération habituelle. C’est comme si on avait 13 congés fériés mais qu’on était payées que pour 11. Ce qui fait que nous venons de perdre 2 jours de travail (salaire). Et c’est acceptable? Je ne pense pas! Notre demande de retrouver nos 2 fériés est à coût nul!

Récupérer ce qui nous a été enlevé

Finalement, jusqu’en 2015, près de la moitié des travailleuses avaient une sixième semaine de vacances qu’elles se sont vues perdre. Nous tentons simplement de récupérer ce qui nous a été enlevé.

Tu peux être en accord ou en désaccord avec nous. Nous sommes dans une société et chacun a droit à son opinion. Par contre, nous avons tous droit au respect. J’entends déjà les « elles prennent les parents en otage », «elles se plaignent qu’elles veulent plus de congés fériés pis moé, j’ai pas de congés maladie pour rester chez nous avec mon p’tit ». Sache que nous comprenons et qu’on sait que c’est peut-être comme ça que tu te sens… pris en otage, mais avoue que le terme est un peu fort. Dis-toi que notre grève, c’est comme la tempête du siècle ou un isolement préventif COVID, t’es pris à la maison avec ton enfant.

Mais dans le fond, si tu veux pouvoir utiliser les services de garde de qualité pour ton enfant quand tu vas travailler, si tu es écœuré de te sentir comme ça, si tu en as plein le derrière de nous voir faire la grève parce que tu dois t’absenter du travail et ça commence à peser fort sur tes épaules, si tu bouilles en pensant que c’est Noël qui approche et que ton bas de laine se vide à vue d’œil parce que tu manques de l’ouvrage, tu as trois choix…

  • continuer à ne rien faire, ne rien dire, te rouler en boule et te plaindre sur ton sort
  • sortir et te joindre à nous pour faire comprendre au Gouvernement qu’il est temps qu’il comprenne ce que la grande majorité de la population a déjà compris
  • sortir et crier ta rage au Gouvernement que ça n’a pas de bons sens ce qu’on fait, que tu es écœuré, « à boutte », frustré, fâché!

Peu importe ce que tu choisis, sache que nous, nous faisons la grève pour faire comprendre au Gouvernement qu’on est écœurées de se sentir comme ça, on en a plein le derrière de faire la grève et ça commence à peser fort sur nos épaules, on bouille en pensant que c’est Noël qui approche et que notre bas de laine se vide à vue d’œil parce qu’on manque l’ouvrage, et bien on a trois choix…

  • ne rien faire, ne rien dire, se rouler en boule et se plaindre sur notre sort
  • sortir en grève pour faire comprendre au Gouvernement qu’il est temps qu’il comprenne ce que la grande majorité de la population a déjà compris et crier notre rage au Gouvernement que ça n’a pas de bons sens ce qu’on est pris pour faire et qu’on est écœurées, « à boutte », frustrées, fâchées!
  • abandonner notre profession… mais ça, je ne pense pas que tu sois prêt pour ça…

Bonne réflexion,

Isabelle Couture

Austin

Éducatrice au CPE Jardin de Fanfan à Magog

Solidaire avec TOUTES ses collègues (ACSPT, agente de conformité, éducatrice spécialisée, responsable en alimentation, préposée, adjointe administrative, secrétaire comptable, commis comptable, secrétaire réceptionniste)