Magog a déjà connu des pénuries de main-d’oeuvre

Lorsqu’une situation inusitée occupe beaucoup d’espace dans les médias, nous avons souvent tendance à tirer des conclusions rapides et à penser qu’il s’agit d’un phénomène inédit, sans précédent comparable. C’est le cas par exemple avec les pénuries de main-d’œuvre que l’on pouvait observer dans différents secteurs avant la pandémie du covid-19.

Des besoins en emplois excédant l’offre au point où l’on se demande comment faire pour les combler? C’est plutôt inhabituel, il faut le reconnaître. Mais à Magog, il est arrivé dans le passé que l’on ait été confronté à un tel défi. Ce fut particulièrement vrai lors des grandes phases de croissance de l’industrie textile, à commencer par le contexte entourant le début des activités à l’atelier d’impression, en 1884, puis à la filature, en 1888, de la Magog Textile & Print Co.

À cette occasion, les concepteurs du projet avaient dû ratisser large pour trouver les ouvriers spécialisés capables d’installer et de faire fonctionner les machines à graver ou celles à imprimer le coton. Une des têtes dirigeantes, William Hobbs, avait même traversé l’Atlantique pour faire du recrutement, notamment en Grande-Bretagne, dans le Lancashire, un des berceaux de l’industrie cotonnière en Europe. Pour l’ouverture de la filature, la demande en « mains », qui n’exige pas une aussi grande expertise, entraîne l’arrivée ici de centaines de Canadiens français venus d’un peu partout en région et même de l’extérieur.

Les usines de la Dominion Textile (DT) se retrouvent de nouveau face à un problème de main-d’œuvre lors de la Grande Guerre 1914-1918. Dès le début du conflit, la production est en pleine ascension. Mais on n’a encore rien vu. L’entrée en guerre des États-Unis, en avril 1917, crée une demande sans précédent. Selon les mots de l’historienne Barbara J. Austin, « l’industrie pouvait vendre tout ce qu’elle produisait ». C’est vrai à un point tel que, pour la première fois de leur histoire, les usines magogoises fonctionnent 24 heures par jour.

Pour tenir la cadence, DT a besoin de forces fraîches. Le bouche à oreille fait une partie du travail, mais la compétition entre les villes industrielles est forte. Aussi, en août 1917, la compagnie prend une initiative originale : la publication d’une brochure promotionnelle intitulée Modern Magog. Dans ce document bilingue de quelques pages, agrémenté de photographies, la compagnie fait connaître les conditions qu’elle offre et celles de la ville où elle est implantée. Beauté du lac Memphrémagog, qualité des infrastructures, présence d’écoles et d’églises, prix des loyers, salaires : tout y passe. DT parle d’une « magnifique occasion pour 100 familles » à l’endroit de qui elle s’engage à pourvoir le transport.

Les rédacteurs n’ont pas peur de beurrer épais pour « vendre » Magog aux étrangers. Selon eux, celle-ci « est […] renommée pour la bonne santé de sa population, et la cause […] est attribuée en partie à cette eau claire, magnifique qu’elle boit [celle du Memphrémagog]. » Plus loin, on écrit que l’école Saint-Patrice, dont la construction est toute récente, « est une des meilleures au pays ».

Les résultats sont-ils au rendez-vous? Aucune donnée ne nous permet de le confirmer, sinon le fait que la population, qui atteindra 5 159 habitants en 1921, a repris un certain allant après avoir quelque peu stagné depuis le début du XXe siècle.

Quant aux situations de pénuries, il y en aura d’autres. Au cours de la crise des années 1930, la demande sera vite satisfaite par le chômage élevé que connaissent les autres villes du Québec. Cependant, il sera plus difficile de recruter lors de la Seconde Guerre mondiale. Le pays vivant à l’heure du plein emploi, la main-d’œuvre disponible a beau jeu de choisir où elle veut déposer son baluchon.

Encore une fois, aucune donnée précise ne nous permet d’évaluer la situation avec précision. La poussée de croissance de Magog, qui passe de 9 000 à plus de 12 000 âmes entre 1941 et 1951, tend néanmoins à confirmer que les usines locales auraient bel et bien atteint un sommet historique avec 2 500 emplois, peut-être même plus, entre 1943 et 1945.

 

Serge Gaudreau

Maurice Langlois